GARABAGH

ENTRE LE PASSE ET LE FUTUR III

Composé par Ramiz ORBAKI et Aydin GANDJALI

Maquette et photos par Emile MARDACANY

PARIS 1991

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

Pages

 

Avant-propos                                                                                I-VI

Garabagh : Qui en profite ? ...............................................................5

H. Katchaznouni à M. Khatissov........................................................17

Le conflit au Daglig-Garabagh. Prof. Tadeusz Swietochowski........... 22

Le point de vue de Bakou. Prof. Tadeusz Swietochowski..........   ...... 25

Appel de la Direction du Front Populaire de l'Azerbaïdjan

(15 janvier 1990)............................................................................. 30

Lettre de M. Mousazade à Dr Peter Glotz.................  ....................... 34

Le Front Populaire de l'Azerbaïdjan. Dr Audrey Altstadt................... 38

Le conflit au Daglig-Garabagh vu de Bakou. Arif Younoussov........... 46

Le fondamentalisme anti-islamique. Eldar Namazov................... ..... 52

L'enclave de Zanguezour. Eldar Namazov.................................... .... 60

Appel aux participants de la 47ème session de la Commission de 1'O.N.U. sur les droits de l'Homme (25 janvier 1991)..................  ... 64

Déclaration des députés du bloc "Azerbaïdjan indépendant"..... ...... 75

Appel des Arméniens du Daglig-Garabagh au peuple Azerbaïdjanais................................................................................. 75

Epilogue........................................................................................... 80

 

 

 

 

 

 

 

 

AVANT-PROPOS

Ce nouveau recueil de documents sur le Garabagh paraît au moment où se décide le destin de l'URSS ; l'Union tente de maintenir de force dans le camp du socialisme des pays qui ont déjà eu leur part de châtiment de la part d'un système social s'efforçant d'étouffer toutes les bases de la conscience nationale des peuples.

Ce processus de démantèlement a appelé des manifestations de réaction : lorsque les républiques de l'Union ont proclamé leur souveraineté nationale, s'appuyant sur la souveraineté d'état garantie formellement par la constitution de l'URSS.

En Azerbaïdjan, ce processus s'est heurté aux difficultés dues au problème du Haut-Garabagh créé dès 1920 et utilisé par le pouvoir central contre la RSS d'Azerbaïdjan dans le but d'écraser par. La force les idées de "souveraineté nationale". Je me permets d'employer ce terme pour expliquer le principal problème idéologique qui est apparu et existe aussi dans les pays développés.

C'est le problème d'un peuple étranger et sédentaire en lutte pour le droit de disposer de ses terres et l'épanouissement de son idéologie et de sa culture. Ce fut le cas au Garabagh, quand la population arménienne allogène a commencé, dans les conditions d'une république souveraine, à démontrer son droit d'aînesse sur les terres du Garabagh ainsi que son appartenance à l'Arménie qui, en accord avec l'idée de la Grande Arménie, s'étend du mont Ararat jusqu'aux monts du Caucase.

Laissant de côté les spéculations historiques qui génèrent des batailles dans le monde savant et dans l'arène politique, il convient de se tourner vers la vie quotidienne de deux peuples voisins, azerbaïdjanais et arméniens, placés par la direction de Moscou dans les conditions d'un conflit armé.

Après la soviétisation de l'Arménie sous l'influence du PCR (b) de Moscou, l'Azerbaïdjan a cédé à l'Arménie le Zanguezour, le lac Gueutktcha et fut contraint de créer la région autonome du Haut-Garabagh, laissant en territoire arménien près de 300 000 Azerbaïdjanais.

Le raisonnement du pouvoir soviétique était simple : diviser le peuple azerbaïdjanais vivant en Transcaucasie, freiner l'évolution des populations "tûrk" et démembrer son territoire. Dans le même but, la ville de Derbent qui avait gardé la culture et la langue azerbaïdjanaises, fut donnée au Daghestan, et à la suite des récents événements, le pouvoir central a également essayé de dresser l'un contre l'autre le peuple ami du Daghestan et de l'Azerbaïdjan.

Sur un fond de conflit politique qui a évolué en conflit armé, on a avancé la thèse du caractère autochtone de la population arménienne qui vivrait sur ces terres depuis l'âge du bronze.

Des dizaines de savants éminents tentèrent de démontrer l'existence d'un peuple qui s'est formé - comme tous les peuples actuels - au haut moyen-âge. A l'âge de bronze, il n'y avait ni Français, ni Anglais, ni Russes, ni Azerbaïdjanais. Si l'on prouve le contraire, que faire alors des anciens états de Médie, Ourartou, Albanie, Assyrie, qui occupaient le territoire de l'Arménie mythique.

Le second argument avancé par les idéologues arméniens est la prétention à l'identification dès le haut moyen-âge, de l'état d'Albanie avec l'Arménie et l'église autocéphale d'Albanie qui a coexisté jusqu'au début du XIXème siècle, avec l'église arméno-grégorienne. Conformément à cette théorie, l'Arménie possède aussi tout l'Azerbaïdjan occidental et le sud du Daghestan où existent des vestiges d'églises albaniennes.

La préparation idéologique s'est accompagnée d'une préparation politique de la direction de Moscou où fut créé un puissant lobby arménien constitué de MM. A. Aganbeghian, G. Chahnazarov, K. Brutens, L. Onikov, E. Ambartsoumov, etc..., tous acolytes de M. Gorbatchev, et du lobby arménien d'Amérique qui a des représentants au Congrès des USA.

L'affaire est allée jusqu'aux falsifications, déplacements et mêmes destructions de monuments historiques, déclarations fausses de savants arméniens ayant déchiffré des inscriptions proto-arméniennes du second millénaire avant J.C.

Au Garabagh (à Mardakert), les Arméniens ont même détruit leur propre monument érigé en souvenu- de l'arrivée dans la région des Arméniens venus d'Iran au XIXème siècle, afin de supprimer toute preuve matérielle du transfert d'Arméniens dans le khanat de Garabagh. Durant la période soviétique, les Arméniens occupèrent Khankendi, la capitale du Khanat de Garabagh et en firent la capitale du district en l'appelant Stepanakert en l'honneur de Stepan Chaoumian, bolchevique arménien, président des commissaires de Bakou dont la majorité était arménienne.

Ainsi, grâce à la propagande, ont resurgi au début des années 80 au NKAO où la population était à presque 2/3 arménienne et à plus d'1/3 azerbaïdjanaise, les actions anti-azerbaïdjanaises, tout comme en Arménie.

Ensuite est apparue l'idée du rattachement du Haut-Garabagh à l'Arménie, qui a pris dès 1988 la forme d'une revendication du gouvernement arménien au Soviet Suprême de l'URRS. Cette revendication s'est accompagnée d'actes terroristes des extrémistes arméniens, qui ont acquis au cours de l'année 1988 le caractère d'une guerre ouverte contre le peuple azerbaïdjanais.

L'administration du Kremlin savait qu'en donnant le Haut-Garabagh à l'Arménie, elle provoquerait immédiatement une guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ; c'est pourquoi, tardant à prendre une décision, elle a instauré l'état de guerre au Haut-Garabagh puis dans tout l'Azerbaïdjan.

L'exaltation idéologique des extrémistes arméniens contre les peuples "tûrks" a causé une psychose chez les Arméniens qui ont maudit le peuple azerbaïdjanais. Le résultat en fut le meurtre de deux jeunes Azerbaïdjanais au début de 1988. Puis ont suivi les pogroms de Soumgaït en février 1988.

L'analyse la plus superficielle des événements a montré que tous les affrontements étaient minutieusement préparés par les nationalistes arméniens et que le KGB et les forces armées sont volontairement restés les spectateurs passifs de l'effusion de sang.

Le problème du Haut-Garabagh a été à l'origine de la création du Front Populaire d'Azerbaïdjan qui a tenté d'opposer à l'administration locale de Vezirov, ancien premier secrétaire du PC d'Azerbaïdjan et du second secrétaire Polianitchko, une force démocratique née de la volonté de tout le peuple azerbaïdjanais. L'une des exigences du Front Populaire d'Azerbaïdjan était une solution équitable au problème du Haut-Garabagh par la voie des négociations.

Mais le Kremlin fit un autre calcul : utilisant les prétentions territoriales de l'Arménie sur le Haut-Garabagh, provoquer une inimitié interethnique et prendre ce conflit interethnique comme prétexte pour faire fondre sur les deux peuples les forces du KGB et les forces spéciales armées.

La direction de cette opération a été confiée à Polianitchko, second secrétaire et général du KGB ayant une expérience de dix ans de combat contre le mouvement de libération nationale d'Afghanistan.

Arrestations et meurtres politiques des militants du Front Populaire d'Azerbaïdjan en 1988-1990, n'ont pu arrêter la lutte de l'Azerbaïdjan pour son indépendance et pour son rapprochement avec ses frères vivant au-delà du fleuve Araxe, en Azerbaïdjan iranien.

En janvier 1990, pour la première fois dans l'histoire de l'URSS, des Azerbaïdjanais ont franchi la frontière et ont rencontré les Azerbaïdjanais du Sud.

Le Kremlin a opté pour la manière forte. Prenant prétexte des pogroms d'Arméniens à Bakou et des désordres nationaux, il a fait intervenir l'armée qui, violant tous les droits constitutionnels des républiques de l'Union, a déclenché à Bakou le 20 janvier 1990 une attaque sanglante avec tanks et mitrailleuses, causant la mort de centaines de personnes, dont des femmes, des enfants et des vieillards.

Afin de justifier ce carnage, M. Gorbatchev, lauréat du prix Nobel de la Paix, a déclaré que l'armée était intervenue pour mettre un terme à l'avancée du "fondamentalisme islamique". Et le Ministre de la défense d'URSS, le général Yazov, a dit que "l'armée avait réussi à faire échouer un coup d'état nationaliste".

Un an est passé depuis la tragédie de Bakou, dont les plaintes ont été étouffées par la propagande anti-azerbaïdjanaise : la presse en URSS et dans le monde a tenté d'accuser le peuple azerbaïdjanais d'actes de cruauté anti-arméniens, anti-chrétiens et anti-démocratiques.

Néanmoins, l'évolution du problème du Garabagh que la presse mondiale a déjà oublié, se durcit et s'aiguise. Jusqu'à présent l'Azerbaïdjan est en état de siège. Le Garabagh se trouve en situation d'assiègement et coupé du monde. Tous les Azerbaïdjanais chassés d'Arménie n'ont pas même un hébergement décent en Azerbaïdjan. La répression des forces démocratiques d'Azerbaïdjan se poursuit. Le déroulement des élections au Sovient Suprême de la république a fait accéder au pouvoir les trois principales forces de réaction, la mafia du parti, les forces répressives du KGB, du Ministère de l'Intérieur et du Parquet, et l'oligarchie financière.

Le problème du Garabagh a en fait gêné l'unification des trois forces démocratiques de Transcaucasie, celles d'Azerbaïdjan, de Géorgie et d'Arménie, et s'est révélé être une arme puissante entre les mains de l'administration du Kremlin pour écraser le mouvement de libération nationale en Transcaucasie.

A nouveau, comme en 1920, le Kremlin a utilisé les nationalistes arméniens dans ses plans pour maintenu* la domination soviétique en Azerbaïdjan.

Le Caucase, berceau de l'humanité, a été dans les temps anciens la maison commune de nombreux peuples, indigènes et allogènes. Leurs destins se sont si étroitement enchevêtrés qu'on peut parler d'unité de la culture caucasienne et de caractère national.

Les peuples azerbaïdjanais et arménien ont vécu depuis mille ans en voisins dans une même contrée appelée Transcaucasie. Cette contrée a survécue à bien des guerres et des tragédies, à autant de soulèvements et de conquêtes ; et je suis persuadé qu'elle survivra aussi aux tragédies actuelles des peuples azerbaïdjanais, arménien et géorgien.

Je me souviens d'une chaude nuit de l'été 1990, quand sur une gare de triage se sont croisés deux trains, l'un azerbaïdjanais (Nakhitchevan -Bakou), l'autre arménien (Kafan - Erevan). Cette nuit-là, les deux convois se sont regardés en silence, par les fenêtres des compartiments endormis. Les seules lumières étaient celles des fumeurs. Etant sorti sur la plateforme pour prendre l'air, j'ai entendu un jeune Azerbaïdjanais qui regardait l'autre train par la portière entrouverte : "Combien de temps faut-il donc pour que nos deux peuples s'entendent à nouveau...". Et j'ai pensé qu'il n'y a pas de mauvais peuples, il y a de mauvais dirigeants.

J'espère que depuis le premier recueil "Histoire du Daglig (Haut) -Garabagh à la lumière de documents historiques" publié à Strasbourg en 1989 et le second "Kavbureau, Daghlygh-Qarabagh, Staline" publié à Montréal en 1990, les cercles spécialisés comme les membres des communautés azerbaïdjanaise et arménienne, ont pu faire connaissance avec des documents imponants, destinés à éclairer l'histoire du Garabagh, considéré comme le coeur et l'âme de l’Azerbaïdjan.

Emile MARDACANY, Londres, 23 mars 1991

 

 

 

GARABAGH : QUI EN PROFITE ?

 

"GARABAGH : FAITS  ET COMMENTAIRES", Z. A. Aliev,  H. A. Hadjizade, d'après Issa Gambarov, mars 1989.

 

"Nous, Azerbaïdjanais, ne sommes pas encore d'habiles politiciens et ne savons pas profiter des contacts auxquels ont recours les autres, et particulièrement nos opposants. Nous n'avons pas su nous faire entendre de l'Europe, parvenir jusqu'aux grands de ce monde, ni même, ainsi que le veut l'usage, nous faire une "bonne presse" en Europe. Dès les premières sombres journées du conflit arméno-musulman, la presse progressiste de Russie a adopté à une écrasante majorité une attitude d'hostilité à l'égard des musulmans, les accusant de tendances réactionnaires, vindicatives, barbares etc... Il y a eu des cas, dans les hautes sphères "académiques", d'apparition de noms de villes inexistantes au Caucase, soi-disant détruites par les musulmans... Une telle situation existe aussi maintenant. Alors que les Turcs d'Azerbaïdjan ont souffert dix, voire cent fois plus que les autres peuples vivant au Caucase, dans la période de désordre et d'anarchie, la majeure partie de la presse caucasienne continue encore à présent contre eux un travail d'intoxication auquel tous participent d'un commun accord : des cadets aux bolcheviques et des dashnaks aux socialistes inclus. Ces derniers font même passer les questions de classe au second plan et mènent actuellement la lutte contre les Turcs d'Azerbaïdjan et non contre les autres classes..."

Ces lignes n'ont pas été écrites aujourd'hui, ni même hier (Journal "Azerbaïdjan", 8.12.1918) mais paradoxalement, les événements qui ont secoué la Transcaucasie à partir de février 1988 les ont rendues pour nous, Azerbaïdjanais, plus que douloureusement actuelles. Voilà un an et demi que les contradictions jusque-là vécues dans le calme en Arménie et en Azerbaïdjan ont fait place aux agressions, à la violence et au sang versé. L'affaire est allée trop loin. Même la terrible tragédie du tremblement de terre en Arménie, qui nous a profondément secoués, a à peine atténué l'acuité du problème du Daglyg Garabagh (plus loin dans le texte PDG).

Rejetant toute émotion, essayons d'éclairer le fond du problème.

Une certaine partie de l'intelligentsia arménienne a su se convaincre et convaincre son peuple que la tâche primordiale et prioritaire de la nation arménienne était le "retour" du D. G. dans le giron de la mère-Arménie. Cet acte est présenté comme rien moins que comme la "rectification d'une injustice historique dans les conditions de la démocratie et de la glasnost". Cela n'est, pour ainsi dire, que le programme à ce jour. La suite suppose de réunir à la "mère patrie" la province azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, la rive géorgienne de la mer Noire, la région d'Armavir en RSFSR et une partie des territoires de l'Iran et de la Turquie. Cette idée grandiose est peut-être inconnue du grand public de notre pays mais chez nous, au Caucase, elle n'est plus un secret depuis longtemps. Ce projet de construction de la "Grande Arménie de la mer à la mer" est basé sur le fait que toutes les terres sur lesquelles vivent ou ont vécu les Arméniens sont de fait arméniennes et doivent donc appartenir à l'état arménien...

Mais voyons d'abord le Garabagh... Quels sont les arguments de base de l'accusation ?

 

ASPECT HISTORIQUE

L'accusation assure que le D. G. est une terre arménienne qui, depuis des temps éloignés jusqu'en 1923, faisait partie de l'état arménien.

Apportons ici quelques précisions, élémentaires pour les spécialistes, sur l'histoire de la composition de la population de notre région. La Transcaucasie, et donc l'actuelle Arménie, n'est pas le berceau de l'ethnos arménien. La version, répandue depuis peu, faisant des Protoarméniens les autochtones des montagnes d'Arménie, n'est avérée par aucun document et n'est pas réelle ("Istorija drevnego mira", Moscou T. 2, pp. 45-46, 1983 ; I. M. Diakonov "K proistoriri armjanskogo jazyka. O faktakh, svidetel'stvakh i logike” IFJ AN Arm. SSR, 1983, N° 4, pp. 19-179). La partie montagneuse de la vaste région historique du Garabagh (le terme de D. G. n'est apparu que dans les années 20 de notre siècle), a toujours été compris dans les limites des états Azerbaïdjanais ou des états auxquels l'Azerbaïdjan s'est trouvé soumis. Les historiens le savent, l'état arménien qui a cessé d'exister dès 387 sous les coups de Rome et de la Perse (donc bien avant la naissance de l'Islam et l'apparition des musulmans dans la région), n'a jamais eu l'occasion de s'emparer du Garabagh.

Ensuite, l'accusation fait souvent référence à la période de 1918-1923 ce qui est aisément explicable. La bourgeoisie arménienne ayant alors perdu toute influence en Turquie et ayant échoué dans ses tentatives de convaincre les Géorgiens de ce que la Géorgie était une terre arménienne (I. Tchavtchavadze, Les sages arméniens et les pierres criantes, Tiflis 1902, pp. 80, 123) a reporté tout son espoir sur les terres se trouvant en Azerbaïdjan. On ignore le fait que le D. G. faisait partie de la République démocratique d'Azerbaïdjan de 1918 à 1920, puis de la RSS d'Azerbaïdjan à partir de 1920. On trouve souvent cités comme arguments (sans référence bien sûr) les propos d'éminents hommes politiques de l'époque concernant les variations de frontières dans la région. Les ordres donnés en 1921 par Ordjonikidze et Kirov témoignent par exemple de l'incontestable "compétence" desdits hommes : "Pas un village arménien ne doit être rattaché à l'Azerbaïdjan, tout comme pas un village musulman ne doit être rattaché à l'Arménie". Cela est joliment dit. Mais compte tenu de la réalité caucasienne, on n'aurait pu, sur la base de ces principes, qu'établir une carte uniquement iso-ethnique, une sorte de peau de chagrin, et non créer des républiques aux frontières précises. L'accusation mentionne souvent la déclaration de l'Azrevkom du 30 novembre 1920 qui attribuerait le DG à la RSS d'Arménie. Nous disons "attribuerait" car il est dit en fait"... il est reconnu aux paysans travailleurs du DG le plein droit à l'autodétermination..." ("Kommunist" en russe N° 178,2.12.1920). Et les habitants du DG se sont autodéterminés.

Lors du plébiscite d'août 1923, à une écrasante majorité, ils ont refusé de sortir de PAzerbaïdjan ("Molodej Azerbaïdjana", 14.7.1988). Mais aujourd'hui apparaît un autre problème en liaison avec ce qui a été dit plus haut : peut-on à l'heure actuelle, alors qu'on parle de construire un état de droit, de rendre notre législation compatible avec les normes juridiques internationales, faire rejaillir la pratique consistant à décider unilatéralement du sort des peuples 'et des organisations gouvernementales, au nom de la dictature du prolétariat ? L'accusation accorde un grand rôle à Staline pour ce qui est de la naissance du D. G. Elle préfère oublier qu'en 1921, Staline n'était que Commissaire du Peuple aux questions nationales de la RSFSR et non un décideur ayant en l'espèce un quelconque pouvoir dans l'établissement des frontières des républiques. A. Lunatcharski, dans son livre paru à l'époque "Les chefs de la Révolution", ne mentionne par exemple, nullement Staline.

Un exemple encore pour le plaisir des amateurs de "citations". Le 22 mai 1919, Anastase Mikoyan déclarait dans un rapport adressé à Lénine : "Les dashnaks, agents de l'état arménien, veulent obtenir le rattachement du Garabagh à l'Arménie. Mais cela voudrait dire pour la population du Garabagh, renoncer à la source de leur vie à Bakou et rejoindre Erevan avec lequel ils n'ont jamais eu aucun lien". (TsPA IML, CC P.C.U.S., f. 461, op. 1, doc. N° 45252, la).

A notre avis, l'octroi par le gouvernement de la RSS d'Azerbaïdjan en 1923 de l'autonomie à la population du D. G. était raisonnable et recevable. Mais il aurait été encore plus juste d'octroyer la même autonomie aux Azerbaïdjanais qui constituaient alors 36 % de la population de la RSS d'Arménie. Les Azerbaïdjanais privés d'une telle autonomie ne formaient plus en 1986 que 5,8 % de la population, et aujourd'hui, après la dernière vague de réfugiés, 0,18 % soit à peine 7 000 personnes.

ASPECT DEMOGRAPHIQUE

La majeure partie de la population du D. G.(soit 75 % des 180 000 personnes), est arménienne. Les Azerbaïdjanais sont 25 %*. Pour les témoins non concernés par les événements qui entourent le D. G., cet argument est présenté comme très convaincant. Il convient d'apporter des remarques d'ordre historique.

|||||* Selon le "Calendrier Caucasien pour 1914" dans les ouezds de Choucha et de Karyaguin - qui, à l'époque, constituaient la base de la partie montagneuse de Garabagh, il y avait 119000 Arméniens et 162000 Azerbaïdjanais. En d'autres termes, on y comptait 42 % d'Arméniens. De 1914 à 1923, on n'avait plus effectué de recensement dans cette région (NDLR).|||||

La prédominance de la population arménienne dans le D. G. est le résultat d'événements historiques précis du XIXème siècle. Une infime partie de la population arménienne actuelle du D. G. a pour racines les anciens Albans du Caucase, ayant adopté la langue arménienne en raison de la communauté de religion. Cette arménisation d'une partie des Albans est évoquée par des caucasiologues faisant autorité comme Petrushevski, Novoseltsev, Eremian etc... La population arménienne du D. G. est pour l'ensemble composée des descendants des Arméniens de Turquie et d'Iran transférés au XIXème siècle par la Russie tsariste. La politique coloniale de la Russie qui a conquis la Transcaucasie au début du XIXème siècle eut pour résultat des transferts massifs d'Arméniens de Turquie et d'Iran dans les nouveaux territoires de l'empire et inversement, le transfert d'Azerbaïdjanais vers la Turquie et l'Iran.

"En fait, l'état russe s'efforçait, par ces transferts de population, d'amoindrir l'importance de l'élément musulman dans cette région (appelée aujourd'hui Veille province arménienne" n.d.a.) en y établissant des Arméniens" (Izvestija kavkazskogo otdelenija russkogo geogr. obshestva", T. VII, Tiflis 1882-83, p. 92).

"Sur le 1,3 millions d'Arméniens vivant aujourd'hui en Transcaucasie, plus d'1 million ne sont pas les habitants originaires de la région, ils y ont été établis par nous" (I. Shavrov, "Novaja ugroza russkomu delu v Zakavkazte", St-Petersbourg, 1911, p. 60). Shavrov indique les endroits précis où se sont établis les Arméniens transférés, notamment "la partie montagneuse de la province d'Elizavetpol" i. e. le D. G. actuel (ibid. p.59). A. Griboïedov, auteur classique russe ayant dirigé en qualité de plénipotentiaire extraordinaire cette politique de transfert, écrit : "Nous avons beaucoup discuté des recommandations à faire aux musulmans en vue d'apaiser leur accablement actuel qui ne devrait pas être durable et de leur enlever leurs appréhensions sur le fait que les Arméniens n'occupent à jamais des terres qu'on leur a permis d'investir pour la première fois" (A. Griboïedov, "Notes sur le transfert des Arméniens de Perse dans nos provinces", 1828, Oeuvres T. 2, Moscou, 1971, p. 314).

Voyez, les craintes de nos ancêtres n'étaient pas sans fondement. Une question enfin que l'on a envie de poser à ceux qui déploient leur zèle pour que le D. G. soit transféré à l'Arménie : l'argument de la prédominance d'une nation ou d'une autre est-il valable, au regard du principe sacré d'autodétermination, pour le seul D. G. ou pour toute situation analogue ? S'il est valable seulement dans ce cas précis, pourquoi ? S'il l'est pour toute situation analogue, que faire alors des 25 % d'Azerbaïdjanais du D. G. ? Que faire des 700 000 Azerbaïdjanais vivant dans les républiques voisines ? Et pourquoi cet argument ne s'applique-t-il pas, par exemple, aux Russes dont une majorité vit autour de villes comme Narva, Kokhla-Yarve, Riga, Douchambé, Karaganda et beaucoup d'autres.

ASPECT SOCIAL

Depuis le tout début des événements, on affirme que depuis longtemps, durant presque toute la période soviétique, les organes républicains d'Azerbaïdjan ont délibérément freiné les possibilités de développement socio-économique et culturel du D. G. Tournons-nous vers les statistiques et les spécialistes :

 

 

DONNEES DE LA DIRECTION CENTRALE DE STATISTIQUES D'AZERBAÏDJAN POUR L'ANNEE 1989 :

 

1. Equipement en lits d'hôpital      AZERBAÏDJAN      D.G.         URSS              ARMENIE

(pour 10 000 hbts)                               97, 7       101, 7       130, 1          86, 2

 

2. Fréquentation des structures                       20            35              57                39

préscolaires (en % de la

population concernée)

3. Nombre d'étudiants 1er groupe       74, 3       92,5            78,2            87,8

 

4. Surface habitable par hbt (en m2)     10, 9        14,6           14,9             13,7

 

V. Lakhtin, premier vice-président du bureau du conseil des ministres d'URSS pour le développement social et co-auteur du décret du Comité Central du P.C.U.S. et du conseil des ministres d'URSS sur l'accélération du développement socio-économique du D.G. a déclaré au journal "Izvestia" du 25.3.1988 : "... En ce qui concerne l'équipement en logements, disons que le D.G. dépasse de 1,4 fois les indices moyens du reste de l'Azerbaïdjan. Il existe aussi d'autres données dont on peut déduire que la situation dans la région est meilleure que dans les deux (!) républiques". L'accusation prétend que les organes républicains limitent l'étude de la langue et de l'histoire arméniennes dans les écoles arméniennes du D.G. : ces affirmations sont foncièrement mensongères. En réalité, le D.G. est apparemment la seule région autonome d'URSS où l'on étudie non l'histoire de la république où elle est enclavée, mais bien l'histoire, d'une autre république, à savoir celle de l'Arménie. Dans les écoles de beaucoup de villes et régions d'Azerbaïdjan il y a de nombreux secteurs d'enseignement en langue arménienne où les enseignants sont plus nombreux que les élèves : cela est un signe non de limitation des droits, mais plutôt un souci louable.

Si les écoles arméniennes de Bakou ferment, c'est que les Arméniens eux-mêmes envoient leurs enfants dans les écoles russes ; d'ailleurs, la même raison a entraîné la réduction à Bakou du nombre d'écoles azerbaïdjanaises.

Tout ce qui précède ne vise pas à prouver qu'il n'y a pas de problème dans le D.G. : il n'y en a pas moins que dans les autres régions du pays. Une partie de ces problèmes est imputable aux organes locaux. Mais l'Arménie n'est pas non plus irréprochable (car c'est elle qui aurait dû fournir les manuels en arménien pour les écoles du DG). Tout en taxant Bakou de tutelle mesquine, il ne faut pas non plus oublier que les dirigeants et exécutants des organes Azerbaïdjanais sont une partie intégrante et éminente du système de commande administrative propre à notre état. Les sortir du cadre de notre malheur commun est pour le moins incorrect. Et si l'on affirme que le fait de base de l'apparition du problème du D.G. est la persécution de la population arménienne par les Azerbaïdjanais, ce qui n'est confirmé par aucun argument sérieux, il convient aussi de rechercher des raisons d'un autre ordre : dans le domaine des sentiments nationaux, réels ou irrationnels, et notamment les intérêts nationaux à long terme concernant la construction de la "Grande Arménie de la mer à la mer". On doit ajouter à cette analyse les objectifs lointains et les méthodes des forces politiques à l'échellon régional, national et global.

 

LES FRUITS AMERS DU CONFLIT

Selon les chiffres officiels, on dénombre 58 Azerbaïdjanais et 32 Arméniens tués et des milliers de blessés ; 161 600 réfugiés Azerbaïdjanais d'Arménie dont près de 4000 sont retournés en Arménie ; 148 000 réfugiés arméniens d'Azerbaïdjan dont près de 40 000 sont retournés en Azerbaïdjan ; près de 8 000 Azerbaïdjanais du D.G. se sont retrouvés réfugiés dans leur propre république. Que faire de ces malheureux, comment affronter le regard de ceux qui ont perdu parents et proches ? Et qu'est-ce que ce mouvement démocratique qui a apporté tant de chagrin aux deux peuples ?

Jusqu'à présent, en dépit des faits nombreux et irréfutables concernant les victimes et les réfugiés Azerbaïdjanais, les zélateurs du "rattachement" continuent d'affirmer que le sang versé, maintenant et par le passé dans les affrontements interethniques, est entièrement imputable aux Azerbaïdjanais grisés par le fanatisme religieux. Il nous faut dire haut et fort que durant tout le XXème siècle, le chauvinisme arménien a organisé nombre de pogroms contre la population azerbaïdjanaise pacifique. Ils ont notamment eu lieu après 1915, quand les prétentions territoriales de la bourgeoisie arménienne envers la Turquie ottomane, organisées en un mouvement partisan à l'arrière-front de l'armée turque en guerre contre l'Entente, conduisirent à de nombreux pogroms de la population arménienne. Les unités armées arméniennes décidèrent de se venger. Mais la vengeance s'exerça contre d'autres : les Azerbaïdjanais, paysans pacifiques et désarmés (BSE, T.3, M. 1926, "La question arménienne", p. 438). C'est ainsi que se réglaient toutes les "questions nationales" : par la "vendetta" et la conquête d'un "espace vital". En 1918 à Bakou, Chemakha, Kouba et dans d'autres régions d'Azerbaïdjan alors déchirées par la guerre civile, les bandes nationales arméniennes ont exécuté des dizaines de milliers d'Azerbaïdjanais, ainsi qu'en témoigne A. Lalaian dans la revue "Revolutsionny vostok" (1936, N° 23, pp. 92-93) : "... Les groupes dashnaks menés par des chefs sanguinaires (Andranik-Pasha, Amazasp etc...) ont fait preuve d'un maximum de "bravoure" dans l'extermination des femmes et enfants, vieillards et malades, "turcs" (ce mot a le sens, ici et plus loin, d'Azerbaïdjanais - n.d.a.) ; les villages turcs pris par les groupes dashnaks étaient "libérés" de leurs habitants vivants et transformés en ruines pleines d'infortunées victimes. Un des héros dashnaks... décrivait en 1920 les "exploits" en ces termes : "J'ai exterminé la population turque de Basar-Getchar, région au nord du Sevan, (actuellement Vardenis en Arménie - n.d.a.), sans faire de distinction. Mais il arrive que ce soit dommage pour les balles. Le seul remède contre ces chiens, pour qu'il ne reste rien après la bataille, était de les entasser dans les puits et d'y jeter par-dessus de lourdes pierres... Cest ainsi que j'ai agi : ayant rassemblé tous les hommes, femmes et enfants, j'en ai fini avec eux en remplissant de pierres un puits où je les avais auparavant précipités...". (Lalaïan, opus cit.).

Dans diverses régions d'Azerbaïdjan et d'Arménie, vivent encore aujourd'hui des témoins des crimes sanglants des bandes d'Andranik, responsable du désastre de tant de villages Azerbaïdjanais en Arménie ou en Azerbaïdjan. Aujourd'hui, grâce à un effort des fameux S. Kaputikian, Z. Balaian et autres "meneurs de perestroïka", Andranik Pasha est devenu un libérateur et un héros national.

En 1920 "... ayant reçu des armes des Anglais, les dashnaks ont accompli un pogrom massif de la population musulmane de la région de Kars et de la province d'Erevan" (BSE, T.3, M. 1926, "La question arménienne", p. 438). Les nationalistes arméniens ont aussi sur la conscience le sort de milliers d'Azerbaïdjanais, officiellement chassés d'Arménie et renvoyés de leurs terres en 1948-53, avec l'accord de Staline et de sa clique. Nos accusateurs ne faillissent pas à la tradition consistant à travestir des relations de cause à effet dans l'évolution du conflit, et voilà qu'aujourd'hui, ils répandent une rumeur parmi les consciences : S'il y a eu en Arménie des "actions illégales isolées" (lisez des massacres d'Azerbaïdjanais - n.d.a.), il ne s'agissait malheureusement que d'une manifestation extrême de la juste indignation des Arméniens après les événements de Soumgaït (28-29 février 1988). Revenons-en toutefois aux faits et à leur succession chronologique. Voici un extrait de la rencontre d'un journaliste de "Bakinski rabotchi" en juin 1986 avec des réfugiés d'Arménie (14 familles), hébergés dans des étables (!) dans le village de Ramani près de Bakou : "Oui, en Arménie nous avons une maison, un jardin, un potager, une vache et un oiseau. Mais nous vivons ici et ne retournerons pas chez nous, dussions-nous vivre plus d'une année dans une étable". C'était en été 1986, soit un an et demi avant février 1988. Voici encore la plainte déposée le 28 avril 1987 par les travailleurs du sovkhoze "kapouyit" en Arménie, reproduite dans la "Pravda" : "... Nous sommes 350 familles azerbaïdjanaises, 40 % de la population, seulement 55 d'entre nous ont du travail. Les réclamations que nous avons adressées au premier secrétaire de région du parti, P. Vartanian et à d'autres dirigeants, ne sont pas prises en considération. Nous avons des spécialistes diplômés du supérieur en agronomie, en zootechnique, mais les spécialistes nommés aux postes de responsabilité du sovkhoze sont des Arméniens d'instruction secondaire. Telles sont les raisons qui ont obligé, dès le début des années 1960 les Azerbaïdjanais à abandonner les tombes de leurs pères et à s'installer en Azerbaïdjan. La majeure partie de ces gens a atterri à Soumgaït, une ville qui réunit toutes les tares d'une industrialisation accélérée et irréfléchie... Un énorme flot de réfugiés a de nouveau déferlé depuis les mêmes endroits au milieu de février 1988, une dizaine de jours avant la tragédie de Soumgaït. "Depuis le 19 février, nous n'avons pas dormi la nuit. Les Azerbaïdjanais des villages voisins se sont rassemblés dans notre village de Kalinine dans la région de Masis en Arménie", raconte Hussein Gambarov, "on a fermé l'école azerbaïdjanaise. La nuit, nous rassemblons 10-20 hommes autour d'un feu au milieu du village, pour protéger les maisons. Il ne se passe pas une nuit sans qu'une maison soit brûlée. Les vieillards, les femmes et les enfants se couchent tout habillés, y compris les chaussures, pour être prêts à fuir".

"Dans notre village d'Artashat de la région de Massis en Arménie, on a brûlé trois maisons, celle de V. Abdullaev, de A. Sadygov et de Nizami dont j'ai oublié le nom de famille", déclare le kolkhozien Gambar Abbasov. "Ils remplissent une bouteille d'essence, enroulent une longue ficelle autour du goulot, mettent le feu et lancent cette torche enflammée dans les fenêtres de nos maisons. Depuis le 19 février, on nous refuse l'aide médicale. On ne nous vend ni pain ni autre produit. On nous refuse l'accès aux transports urbains. Depuis le 19 février, on commence à licencier en niasse les Azerbaïdjanais. On nous a craché au visage, au sens propre du terme en criant : "Les Turcs, hors de nos terres arméniennes !".

I. Veliev, agronome au kolkhoze "Gelebe" de la région d'Araner en Arménie déclare ; "Le 17 février, ma femme a mis au monde un fils. L'accouchement était difficile. Ni elle ni l'enfant n'ont reçu d'aide. Médecin et sage-femme se moquaient, les bras croisés : "II y aura deux Turcs de moins..." L'enfant sans langes a attrapé une pneumonie. Ma femme ne s'est pas rétablie à ce jour". Nazami Gadjamalieva, institutrice à l'école N°2 de Djermouk en Arménie : le 25 février (trois jours avant Soumgaït - n.d.a.) eut lieu une manifestation. Dans notre école, il y a 640 enfants arméniens et 166 Azerbaïdjanais. Pendant les cours, nous avons entendu les cris d'une foule de plusieurs milliers de personnes et nous sommes précipités à la fenêtre. C'est un spectacle terrible que de voir une masse noire avancer sur la neige blanche sans savoir qu'attendre de cette foule humaine. Le directeur de l'école, Khatchatrian, est sorti jusqu'aux grilles : "Arrêtez, vous êtes des parents 1 N'apeurez pas, ne traumatisez pas les enfants !". La foule n'écouta pas. La foule brisa les portes de l'école et se mit à se battre avec les instituteurs. Les enfants apeurés se sont cachés sous les pupitres ou jetés par les fenêtres dans la cour".

De tels événements étaient quasi quotidiens en Arménie. Des centaines de gens étaient, sous la menace de la violence physique, chassés vers les trains allant à Bakou. Dans la panique, ils n'avaient pas même le temps de prendre des vêtements chauds pour les tout-jeunes enfants. Les réfugiés désespérés et furieux n'étaient admis ni à Bakou ni à Kirovabad. Ils ne pouvaient rentrer, une partie a pu être hébergée chez des parents ayant déjà fui l'Arménie et installée dans les bidonvilles autour de Soumgaït. Entre temps, les "meetings pacifiques et démocratiques" dans le D.G. et en Arménie ont atteint leur point culminant. Les pogroms de familles azerbaïdjanaises à Stepanakert (jusqu'en 1923 Khankendi) se sont terminés par l'assaut du foyer de filles de l'institut pédagogique. Et voici les premières victimes : lors des désordres de rue dans le D.G., deux adolescents Azerbaïdjanais furent tués. Lorsque la nouvelle parvint à Soumgaït, la ville a éclaté en manifestation spontanée. L'amorce de la tragédie a été l'action des criminels et brigands de diverses nationalités, obligés pour la plupart de résider à Soumgaït (Bakou ne les enregistrant pas). Aux dires des fonctionnaires des forces de l'ordre d'URSS, cinq Arméniens furent tués et une Arménienne violée pendant les pogroms par un Arménien, un certain R. Grigorian, récidiviste en liberté conditionnelle ; cela fut aussi dévoilé par la presse de la république. La presse nationale n'a pas accordé son attention à ce fait. Apparemment, quelqu'un ne veut pas voir ternir les couleurs de la "barbarie azerbaïdjanaise". Comme tout le peuple soviétique, nous, Azerbaïdjanais, exigeons un châtiment sévère pour tous les auteurs des crimes de Soumgaït. Mais nous jugeons aussi indispensable de rechercher les liens de cause à effet entre le problème du D.G. et Soumgaït...

Des innocents sont morts, des centaines de milliers de personnes ont quitté leur abri. La confiance entre des peuples vivant "l'un dans l'autre" est foncièrement brisée. Au prix de leurs victimes, les extrémistes arméniens s'efforcent de démontrer leur droit exclusif sur l'interprétation de la justice historique. La direction "stagnante" a été changée dans les deux républiques. Et sans cela, on accorde encore aux habitants pas si misérables du D.G. une dotation d'un demi-milliard. Mais la situation n'est pas plus tranquille dans la région, ce qui est compréhensible. Car l'objectif des nationalistes expansionnistes n'était pas d'améliorer le cadre de vie des gens, mais d'étendre "l'espace de vie".

Depuis mai 1988, la quasi-totalité de la population azerbaïdjanaise d'Arménie, chassée par les bandes armées arméniennes, a franchi à pied, en caravanes de réfugiés, les montagnes enneigées vers PAzerbaïdjan. A présent, on veut expliquer les massacres et incendies par l'indignation des Arméniens "anciens, cultivés et civilisés" après les événements de Soumgaït. G. Mirzoeva, Sh. Kerimov et d'autres habitants du village de Saral de la région de Spitak en Arménie, racontent : "Le 1er décembre 1988, au km 15 de la route Kirovakan-Indjavan, une bande armée a tué S.G. Baladjaev, né en 1958. Il y eut huit blessés. V. Mamedov raconte que le 23 novembre, les nationalistes arméniens ont attaqué le village de Zali de la région de Kalinine en Arménie, ont brûlé les maisons et tué trois Azerbaïdjanais. Ce fait a également été évoqué dans une interview à la "Komsomolskaia pravda" le 15 mars 1989 par V.I. Tchlukhin, premier adjoint de la section générale des enquêtes auprès du procureur de l'URSS. "On rencontre encore des groupes armés sur les routes d'Arménie. Il faut les désarmer. Et si l'on parle d'armes, il y en a là-bas une quantité, en détention illégale. C'est pourquoi, je proposerai d'introduire dans les gros villages Azerbaïdjanais en territoire arménien des forces militaires... Il s'agit évidemment d'une mesure d'exception mais elle est rendue nécessaire et peut être une garantie pour le retour des populations transférées". Quant aux témoignages de massacres, incendies, pillages des paysans Azerbaïdjanais pacifiques par les bandes armées, ils sont innombrables...

Pour conclure cet exposé qui est loin d'être exhaustif, de la détresse de nos peuples, nous voulons encore nous arrêter sur la déformation, apparue dans les consciences, à cause de l'absence dans la presse d'estimation de principe du rôle joué par les expansionnistes arméniens dans l'analyse des causes du conflit. Cette situation ne favorise pas l'amélioration des relations interethniques et n'incitera pas les Azerbaïdjanais à oublier rapidement l'étape actuelle de la construction de la "Grande Arménie".

 

 

ASPECT JURIDIQUE ET POLITIQUE

Cest l'aspect du problème du D.G. le plus décisif et le plus commun. L'article 78 de la Constitution de l'URSS stipule : Le territoire d'une république de l'Union ne peut être modifié sans son accord. L'invocation de l'article de la Constitution sur le droit des peuples à l'autodétermination est irrecevable car le peuple arménien s'est déjà autodéterminé dans les années 1920 en constituant la RSS d'Arménie et en intégrant l'URSS. En outre, les Arméniens sont dans notre pays la seule nation à avoir, à part sa république, une région autonome dans une autre république. Les assertions spéculatives selon lesquelles, au cours du futur perfectionnement de la Constitution de l'URSS, la "contradiction" entre l'article sur l'autodétermination et l'article 78 sera réglée en faveur du premier, sont absurdes, car l'article 78 découle de l'esprit et de la lettre de l'Accord sur la création de l'URSS. L'annulation ou la modification signifierait la rupture dudit accord.

Selon la Constitution de l'URSS, les républiques de l'Union sont des états souverains. Par conséquent, elles sont aussi concernées par le principe universel atteint par l'humanité vers la seconde moitié du XXème siècle : la paix sur la terre est soumise aux garanties de l'intangibilité des frontières d'états.

Extrait de la lettre écrite en 1920 par Hovanes Katchaznouni à Mr. KhatissovàNewYork:

... Je vous prie de prendre bonne note qu'il ne faut pas laisser approcher le gouvernement de l'Arménie libre ni par Noubar, ni par son proche conseiller Papadjanov. A ces deux noms, je voudrais ajouter aussi celui de l'ennemi de notre république : Andranik, qui est aussi méchant et bête que les susnommés. Ces gens-là devraient être considérés comme des criminels politiques et il est indispensable de les écarter de nous pour toujours. (Archives historiques centrales de la RSS d'Arménie, folio 200, document 1, dossier 450, pp. 2-4).

CONFLITS NATIONAUX EN TRANSCAUCASIE, Claire Mouradian, L'Autre Europe, N° 10, Paris 1986, p. 99. (Extraits)

... Les Azéris majoritaires dans les gouvernements de Bakou et d'Elizabetpol, ont également de fortes concentrations dans la province de Kars et le gouvernement d'Erevan ... En 1914, les Arméniens ne sont majoritaires que dans 3 districts sur 7.

... A Bakou, les "journées de mars" 1918, où la commune bolchevique, dirigée par Chaoumian, combat les moussavatistes azéris avec l'aide des dachnaks arméniens, ressemblent davantage aux "guerres arméno-tartares" de 1905-1907 qu'à la lutte des classes.

... Au printemps 1921, les Arméniens ont établi une tête de pont solide, quoiqu'isolée, dans la région médiane du Zangezour où, en 1918-1919, les irréguliers du Général Andranik, essentiellement des réfugiés d'Anatolie orientale, ont "nettoyé" les villages azéris les uns après les autres.

LE, JOUG DE LA CULTURE NATIONALE EN TRANSCAUCASIE, Tamara Dragadze, La Nouvelle Alternative, N° 13, Mars 1989. (Extraits)

...En Géorgie et en Azerbaïdjan, c'est la souveraineté nationale de l'époque qui est évoquée comme exemple de l'expression libre des sentiments nationaux, et que l'on cherche à recréer. En Azerbaïdjan, les Moussavats - membres du Parti national, qui était majoritaire - sont actuellement l'objet d'une certaine révérence, puisqu'ils ont affirmé l'identité nationale des Azerbaïdjanais, une question toujours controversée. Ni tout à fait Persans, ni tout a fait Turcs - bien que Chiites et turcophones - Caucasiens mais musulmans, les Azerbaïdjanais ont finalement vu leur identité culturelle reconnue et promue par ce gouvernement où dominaient les Moussavats. Pendant sa très courte existence - moins de trois ans - ce gouvernement avait également fait face à beaucoup de problèmes, autant intérieurs - y compris les luttes entre Arméniens et Azerbaïdjanais - qu'extérieurs - l'intervention turque, d'abord bien accueillie puis cause de mécontentement, puis enfin le triomphe des bolcheviques qui, outre quelques Azerbaïdjanais, avaient à leur tête une majorité de révolutionnaires arméniens, russes et même géorgiens. Tous ces faits ont encouragé les Azerbaïdjanais dans la conscience de leur identité nationale.

... En définitive, nous devons toujours réfléchir et juger prudemment les informations que nous recevons en Occident. Ces précautions sont nécessaires, connaissant les dirigeants de plusieurs groupes informels : à part les Azerbaïdjanais, qui n'ont jamais eu recours à la presse occidentale - un fait qu'ils doivent bien regretter maintenant, n'ayant jamais pu présenter leur point de vue dans le conflit qui les oppose aux Arméniens - les "dissidents" et leaders des groupes les plus nationalistes arméniens et géorgiens ont depuis bien longtemps des liens avec les médias occidentaux.

... En attendant, je voudrais espérer que les mouvements démocratiques en Transcaucasie prendront de plus en plus conscience du fait que la dignité humaine ne dépend pas seulement de la libre expression de sa propre culture nationale mais aussi de celle des autres, et finalement du bien-être matériel de toutes les populations, y compris et surtout celles des régions rurales. Ces points de vue existent, mais il faudrait leur souhaiter un enracinement et une popularité réels.

De notre côté, il faut sympathiser et comprendre avec son coeur les aspirations de ces peuples, marqués par des années d'expériences qui leur paraissent maintenant équivoques et douloureuses ; il faut participer à leur élan vers la floraison de leur vie culturelle. Il faut reconnaître les raisons pour lesquelles les questions de culture nationale dominent la pensée actuelle, sans pour autant perdre la conscience de leurs limites.

 

LE SENAT S'INGERE DANS LES AFFAIRES DE L'AZERBAÏDJAN New York Times, 13 OCTOBRE 1989

L'histoire ne connaît aucun cas de résolution prise par le Soviet Suprême de l'Azerbaïdjan quant à la politique intérieure des Etats-Unis d'Amérique. Une telle pratique serait difficilement conciliable avec le principe des relations intergouvernementales, basé sur la non ingérence dans les affaires intérieures d'autrui, particulièrement maintenant, quand les peuples de nos deux pays ont recommencé à espérer la paix, l'amitié et la compréhension mutuelle.

Aussi, nous ne pouvons imaginer ce qui a amené le Sénat américain à prendre une résolution sur les tensions arméno-azerbaïdjanaises dans la région autonome du Nagorno-Garabagh, partie inséparable du territoire de l'Azerbaïdjan.

Nous devons en conclure que le Sénat a été trompé car nous ne pouvons expliquer autrement la résolution sur "la continuelle discrimination contre les Arméniens vivant dans le Garabagh". Le Nagorno-Garabagh dépasse l'Azerbaïdjan pour ce qui est des indicateurs de base du développement socio-économique : nombre par personne de logements, d'établissements culturels, d'écoles, etc...

Nous pouvons seulement affirmer que le résumé des informations explique que le Sénat, lors des discussions sur l'aspect humanitaire des événements de Soumgaït qui se sont soldés par la mort de 26 Arméniens et 6 Azerbaïdjanais, n'a pas trouvé nécessaire d'exprimer son regret devant la mort de 57 Azerbaïdjanais tués lors d'événements similaires en Arménie. Le Sénat n'a pas non plus noté qu'en Arménie, où 200 000 Azerbaïdjanais vivaient avant février 1988, aucun n'est resté, tous ayant été chassés, sans abri et sans ressources, et certains ayant été tués.

L'essentiel de la question n'est pas "l'intransigeance" de la direction politique mais le droit de l'Azerbaïdjan, en tant que gouvernement souverain (au même titre que les Etats-Unis), à faire ce qu'il veut de son propre territoire.

Nous croyons que la résolution adoptée par le Sénat constitue une ingérence dans les affaires intérieures et aggrave la confrontation politique, ethnique et religieuse, non seulement dans cette région, mais aussi dans le monde entier.

Cependant, nous ne voudrions pas que le peuple américain ait l'impression que la sincère bonne volonté du peuple Azerbaïdjanais à son égard, ou que son profond respect pour le Congrès des Etats-Unis, est ébranlée par cet incident que nous sommes tentés de considérer comme un regrettable malentendu. Nous pensons que le Sénat trouvera l'occasion de corriger ce malentendu dans le sens qu'il jugera le meilleur.

D. Alibekov, K. Rahimov, A. Sharifov, Bakou, URSS, 12 septembre 1989.

Les signataires sont respectivement rédacteurs du journal Kommunist, rédacteurs en chef de la revue Azerbaïdjan Kommuntsti et directeur de l'agence Azerinform. La lettre est signée par 20 autres représentants des médias d'Azerbaïdjan.

LE SPECTACLE DU MONDE, Edouard Sablier, Novembre 1989, p. 62.

(Extraits)

... En refusant l'abandon du Garabagh les Azéris s'appuient sur la Constitution de l'Union Soviétique, qui stipule l'interdiction de modifier les frontières sans l'assentiment des populations intéressées. L'Azerbaïdjan invoque aussi le traité de 1922, par lequel les trois républiques de Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) s'unissaient pour fonder l'URSS, chaque Etat conservant sa souveraineté, et déléguant à l'Union le soin de la Défense, des Finances, et des Affaires Extérieures. Toute restructuration des frontières entre l'Arménie et ('Azerbaïdjan est donc exclue, non seulement parce qu'elle risquerait d'entraîner un violent soulèvement des Azéris, mais parce qu'elle ouvrirait la porte à d'innombrables récrimininations d'autres populations de l'URSS.

 

"LE CONFLIT AU DAGLIG GARABAGH", Prof. Tadeusz Swietochowski, Revue Azerbaïdjan, No 11,1989

Avant l'instauration de la domination russe, la région géographique de F Azerbaïdjan était partagée en unités politiques désignées par le terme de Khanats (principautés), placées officiellement sous la souveraineté de la Perse. Le pouvoir persan commença à s'effondrer au XVIIe siècle, de sorte que les Khanats devinrent virtuellement indépendants, se contentant de rendre un hommage purement formel aux Shahs de Perse. Le Khanat de Garabagh était le plus grand et le plus développé au point de vue culturel et économique. Plus que tous les autres Khanats, il représentait le centre de la culture azerbaïdjanaise. Sans doute, le Garabagh a toujours possédé une minorité arménienne. Cependant il ne faut pas perdre de vue que la Transcaucasie avait vécu pendant des siècles sous l'autorité musulmane alors que les Arméniens y étaient peu nombreux et dispersés. Les groupes de population arménienne vivaient seulement dans les régions montagneuses, isolés les uns des autres. Une de ces régions était le Daglig-Garabagh.

Le tableau démographique subit un changement spectaculaire avec l'instauration du gouvernement russe. Les guerres entre la Russie et la Perse qui aboutirent au traité de Turkmentchaï en 1828, eurent pour résultat de provoquer un vaste afflux, en Transcaucasie, d'Arméniens provenant de Turquie et d'Iran. Par exemple, Erevan n'était pas jusque là une ville arménienne mais un Khanat azerbaïdjanais. Dans la première moitié du XIXe siècle, la population immigrée y devint majoritaire par rapport aux Musulmans indigènes. Par conséquent, sauf dans les montagnes de Garabagh, où on avait constaté la présence des Arméniens depuis assez longtemps, les Azerbaïdjanais les considéraient comme des nouveaux venus. C'est là la base première du conflit historique entre les deux nations.

Prenant en compte ces considérations, je pense qu'il ne s'agit pas là d'un conflit territorial de prime abord, mais plutôt d'une résurgence des rivalités entre deux sociétés de structures différentes. Encore qu'il ne s'agisse pas là d'un conflit de religion à proprement parler, le fait qu'un des groupes soit chrétien et l'autre musulman est à l'origine des ramifications sociales et économiques importantes. Les Chrétiens ont accès à l'aide occidentale, aux communications avec les missionnaires, à l'instruction et aux contacts d'affaires. Les musulmans sont étrangers à tout cela, et la mentalité occidentale leur échappe. Non seulement les Arméniens possèdent une meilleure instruction grâce à leurs rapports avec l'occident, mais ils sont aussi plus urbanisés et ont acquis les traits caractéristiques d'une société moderne de type occidental. Ceci constitue une source de conflit bien plus importante que le statut territorial du Daglig-Garabagh.

Mais les relations avec l'occident n'ont pas supprimé les anciens liens avec la Russie. Or, la Russie étant chrétienne et ennemie de la Turquie, il n'est pas surprenant que l'Arménie ait été historiquememnt son alliée. L'expansion russe au Moyen Orient recelait un genre de promesse pour la création d'une grande Arménie indépendante. En pratique générale cependant, les petits pays ne gagnent rien en s'alliant aux grands Empires. Le déséquilibre des forces est trop important. En ce qui concerne l'Arménie, la politique tsariste n'était pas spécialement retorse ou vile. Tout simplement, la Russie avait des intérêts qui ne coïncidaient pas toujours avec ceux de l'Arménie. Pour des raisons politiques ou diplomatiques de telle ou telle époque, les Russes n'ont pas aidé leur faible allié dans les moments de graves dangers.

Le conflit entre les deux communautés en présence, les Azerbaïdjanais et les Arméniens, explosa une première fois lors des massacres de 1905-1906. Les accusations contre le gouvernement tsariste d'avoir organisé ces massacres furent largement répandues depuis ce temps-là. Bien qu'en effet le gouvernement tsariste ait profité des conflits entre ethnies et parfois manipulé un groupe contre un autre, il n'existe pas de preuve définitive que le gouvernement tsariste ait manigancé ce problème. Les événements de 1905-1906 étaient devenus un symbole qui servit à mobiliser les deux courants. Un mouvement nationaliste se développa dès lors en Azerbaïdjan avec un mot d'ordre anti-arménien et vice versa.

Il ne faut pas oublier que les Azerbaïdjanais ne sont pas seulement des musulmans mais aussi des Tûrks. Leur langue très proche du turc, et ils ressentent une affinité et un désir d'union politique avec la Turquie. Le panturkisme qui préconisait un vague programme d'union des Tûrks du inonde entier est devenu un mouvement puissant chez les intellectuels azerbaïdjanais. On avait espéré tout d'abord que l'Empire Ottoman allait conquérir une bonne partie de la Russie peuplée de Turks et créer un genre d'empire. Bien entendu, il n'était guère possible de mettre ceci en pratique, mais le Panturkisme représentait une force significative en ce qui concerne le caractère psychologique et culturel des Musulmans de Russie, particulièrement en Azerbaïdjan. Le Panturkisme représentait une menace pour les aspirations arméniennes parce qu'il présupposait le développement de l'influence de la Turquie, rivale historique de l'Arménie.

En résultat de l'effondrement de l'Empire russse, l'Azerbaïdjan devint une nation indépendante en 1918. Il en fut de même pour la Géorgie et l'Arménie. Cette indépendance fut l'effet d'un hasard plutôt que d'un plan arrêté d'avance, et dès le début les revendications territoriales devinrent une source de conflit avec l'Arménie. La situation était devenue si intenable que les Britanniques furent forcés d'envoyer dans le Caucase un corps expéditionnaire pour y rétablir l'ordre. La conférence de Versailles devait régler la situation, mais elle ne s'en est même pas préoccupée et jusqu'à présent rien n'est changé à cet égard. Le Daglig-Garabagh est une enclave arménienne en territoire azerbaïdjanais liée géographiquement, économiquement et en ce qui concerne les moyens de transport et de communication, à l'Azerbaïdjan. Il n'y a pas de solution à cela.

Satisfaire les revendications arméniennes ne serait pas une solution viable du problème du Garabag. Cela ouvrirait la boîte de Pandore du problème national dans l'Union soviétique toute entière. Des gens appartenant à diverses nationalités vivent dans beaucoup de républiques soviétiques - pas seulement en Transcaucasie mais aussi en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Ukraine et au Kazakhstan. Il y a là beaucoup de Russes et tous les groupes ethniques sont mêlés. Le conflit est survenu au moment où l'Etat soviétique se trouvait en crise. Partiellement à cause des conditions provoquées par la "glasnost" et la "perestroïka", si le Daglig-Garabagh est cédé à l'Arménie, on aura créé un précédent pour les demandes similaires dans toute l'Union Soviétique. Il se pourrait que certaines plaintes (doléances) des Arméniens Su Daglig-Garabagh soient justifiées. Si on accordait l'autonomie culturelle dans le cadre du système soviétique, ce serait là une bonne solution de compromis.

"LE POINT DE VUE DE BAKOU" Prof. Tadeusz Swietochowski, Extrait du rapport à la conférence "Garabagh - Artsakh : un an après", Centre Arménien de Columbia University, New York, 11 Février 1989

... L'histoire du conflit est déjà longue et recèle beaucoup d'animosité accumulée. Quelles sont les racines de cet antagonisme ? En 1906, un député azerbaïdjanais à la Douma déclarait : "Nous vivions en paix et en bonne intelligence avec les Arméniens, jusqu'à l'arrivée des Russes, c'est alors que tout changea". C'est une opinion que l'on répète encore aujourd'hui, mais qui est fort simpliste : ce serait trop facile de blâmer les Russes pour tout.

Le fond de cet antagonisme ne semble pas dépasser en complexité l'adage "diviser pour régner". Il ne fait cependant aucun doute que la conquête de la Transcaucasie au début du XIXe siècle constitue un tournant dans l'histoire de ce pays. A partir de cette époque, c'est l'administration russe qui fut pendant longtemps à l'origine des modifications qui se produisirent dans les sociétés traditionnelles de cette région. C'est sous l'égide de la Russie que se produisit l'intégration administrative issue du morcellement des principautés féodales de Bakou, l'urbanisation résultant du développement de villes telles que Tiflis, Bakou et Gandja, l'introduction de l'éducation moderne et l'émergence d'une élite intellectuelle de type européen.

La conquête russe eut aussi pour effet la modification de la composition ethnique de la population de Transcaucasie. Ce fut là un résultat de l'afflux massif d'immigrés arméniens provenant d'Iran et de Turquie. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'Arméniens dans cette région avant l'instauration de l'administration russe. Il y en avait quelques-uns, en particulier dans le Khanat de Garabagh. La plupart des Arméniens qui vivent actuellement en Transcaucasie sont les descendants des immigrés venus dans ce pays au cours de la première moitié du XIXe siècle.

Au fur et a mesure qu'ils s'implantaient dans la contrée, ils en expulsaient les indigènes. Le régime tsariste, favorable aux colons arméniens, transforma en "régime arménien" le territoire des anciens Khanats d'Erevan et de Nakhitchevan. Certains Arméniens voyaient dans cette région le noyau du futur "foyer national". Sans aucun doute il existait des rapports particuliers entre la Russie et les Arméniens. Ces rapports étaient fondés pour une bonne part sur une affinité religieuse, mais l'aspiration politique des Arméniens à créer d'une façon ou d'une autre la "grande Arménie" joua aussi un certain rôle. De son côté, le gouvernement tsariste considérait les Arméniens comme l'avant-garde de son expansion au Moyen-Orient et plus particulièrement dans l'Empire Ottoman. Néanmoins, la Russie ne voulait pas être forcée de s'engager dans cette expansion au moment le plus propice aux intérêts arméniens. En d'autres termes, la Russie ne voulait pas se mettre au service de ses protégés et ce fut là une source de friction entre le gouvernement tsariste et les Arméniens.

Pourtant, dans le cadre de la relative modernisation que la Russie avait introduite en Transcaucasie, les Arméniens jouissaient d'un régime préférentiel par rapport aux autres, surtout les Azerbaïdjanais. En outre, les Arméniens étaient mieux placés pour profiter des occasions favorables qui pouvaient se présenter : ils servaient dans l'armée russe dont les Azerbaïdjanais étaient exclus et étaient admis en plus grand nombre dans la fonction publique.

Lors de l'expansion économique en Transcaucasie, ils occupèrent des postes puissants dans le commerce et l'industrie y compris dans l'exploitation du pétrole à Bakou. Les Arméniens commencèrent à se former en société fortement urbanisée, possédant une main d'oeuvre spécfalisée et des experts professionnels. C'étaient des gens dynamiques, prêts à se déplacer, en quête de travail et de bonnes occasions. Grâce à leur importante diaspora, ils conservaient des contacts fort utiles avec l'Occident. Ils formaient par ailleurs une communauté politique bien organisée, pourvue d'un mouvement national dynamique ayant pour fer de lance, le parti Dashnaksutium.

On  constate  donc  que  l'antagonisme  entre  Azerbaïdjanais  et Arméniens constituait un problème complexe à multiples aspects ne relevant pas tous des différences religieuses et culturelles. Les mêmes différences existaient aussi entre Azerbaïdjanais et Géorgiens, sans toutefois provoquer d'antagonisme entre eux.

Cependant, les deux peuples continuèrent longtemps à vivre côte à côte en bonne harmonie, se complétant à bien des points de vue. Tout bien pesé, les éruptions de violence massive n'étaient pas trop fréquentes : en 1905-1907, en mars et septembre 1918 et enfin, récemment en 1988. Il faut remarquer que ces accès de violence se produisirent toujours quand le gouvernement russe se trouvait en état de crise, de reconstruction ou de remise en cause, et par conséquent dans l'incapacité d'exercer sa fonction.

En outre, la violence, malgré les horreurs qui l'accompagnaient, avait une signification historique en tant que moyen de mobiliser la communauté pour une cause nationale. Le réveil national des Azerbaïdjanais, accompagné de créations d'associations, de nouveaux programmes et d'idéologies eut lieu en 1905, en bonne partie en réponse au défi arménien. Le choc de ce défi fut pleinement ressenti quand les foules musulmanes se heurtèrent aux troupes de combat dashnaks, bien entraînées, bien armées et organisées. Le sinistre résultat est facile à imaginer. Le fait que les Azerbaïdjanais s'organisèrent politiquement eut pour premier résultat de réduire l'intensité de la lutte. Les chefs des deux communautés en présence purent entamer le dialogue, parvenir à des ententes et même avec le temps, à collaborer sur un certain nombre de points.

Le conflit actuel du Garabagh a malheureusement permis aux Azerbaïdjanais de se rendre compte de la bonne organisation des Arméniens. Des manifestations massives dans les rues d'Erevan avec un demi-million de participants, dont beaucoup venaient de l'extérieur; l'ordre parfait et la discipline de ces immenses foules, la synchronisation de l'activité des Arméniens au Garabagh, à Erevan, à Moscou, à Beyrouth, à Boston et à Los Angeles - tout cela constituait des exploits impressionnants et un défi lancé aux Azerbaïdjanais.

Les protestations contre les exigences arméniennes au sujet du Garabagh, que Bakou considérait comme un pas vers la formation d'une "grande Arménie" eurent pour effet d'engendrer une multitude de publications politiques samizdat, des manisfestes en tous genres, de tracts, de lettres ouvertes et la formation de comités spécialisés. Lorsque le conflit du Garabagh devint violent, il eut pour conséquence le problème des réfugiés, la cité des tentes et les quêtes d'argent. On note aussi des manifestations massives spontanées, l'émergence de chefs populaires, de programmes élaborés au cours des meetings, et de la formation à terme d'un Front Populaire.

A mesure que l'affaire du Garabagh avait des répercussions dans les endroits de plus en -plus éloignés de son origine géographique, les Azerbaïdjanais commencèrent à la considérer comme une dimension nouvelle d'un  conflit  ancien.  Ils se  rendaient  compte  que  même Gorbatchev avait opposé un refus aux revendications arméniennes. La façon dont il l'avait fait semblait dénoter une attitude de sympathie et de compréhension à leur égard, ce qui pouvait laisser la porte ouverte à une reprise ultérieure de la discussion. Il est vrai que le fait d'avoir soustrait le Daglig-Garabagh à l'autorité Azerbaïdjanaise confirma ces craintes.

Alors que la position de Moscou semblait équivoque, les groupes dissidents, en Russie aussi bien que dans les "républiques aux yeux bleus" de la Baltique, en Ukraine et en Biélorussie n'hésitèrent pas à accorder leur soutien à la thèse arménienne. Il en allait de même de l'homme qui symbolisait ce qu'il y avait de mieux en Russie : Andréî Sakharov, qui entreprit une croisade en faveur de l'Arménie.

A   première   vue,   ce   soutien   enthousiaste   a   pu   paraître incompréhensible et même aller à rencontre du but poursuivi. En exigeant que la majorité locale détermine si le Daglig-Garabagh devait ou non être  rattaché à  la  République  arménienne en  négligeant les considérations géographiques, on courait le risque d'ouvrir la boîte de Pandbre de la question nationale soviétique. L'Union Soviétique étant passée par les affres des grandes migrations à travers les frontières de ses républiques, son histoire abonde en situations où les immigrés étaient (et sont encore) plus nombreux sur le plan local que la population indigène. Dans certains cas - en Lettonie et au Kazakhstan par exemple - ils sont même plus nombreux que les indigènes dans les républiques entières.

Un changement dans le statut du Daglig-Garabagh, conformément aux revendications arméniennes, servirait de signal aux immigrés d'autres républiques pour exiger des solutions similaires. Or, dans la plupart des cas, ces immigrés sont ethniquement Russes. Le cas du Daglig-Garabagh une enclave non-russe dans une république non-russe - est une exception à la règle.

Une concession aux Arméniens, si elle était reprise ailleurs, renforcerait l'élément russe, déjà fort puissant, dans d'autres républiques.

Ceci étant, pourquoi donc les Lettons ou Ukrainiens menacés d'un flot de colons russes chez eux soutiennent-ils ce qui pourrait être un précédent représentant un danger pour eux-mêmes ? La réponse des Azerbaïdjanais à cette question pourrait exprimer trop de méfiance mais elle n'est est pas moins significative : il s'agirait là d'un cas de manifestation instinctive de solidarité du monde occidental - chrétien - à rencontre de l'Orient musulman. Cette solidarité implique aussi les médias occidentaux qui, selon un écrivain de Bakou, se prononcent contre les Azerbaïdjanais sans prendre en considération le point de vue de ces derniers. Nous pourrions ajouter aussi que cette attitude rappelle la façon dont les choses furent présentées lors du conflit au Moyen-Orient par ces mêmes médias occidentaux qui, jusqu'à ces temps derniers, manifestaient un parti pris fort évident en faveur d'Israël.

La réaction naturelle des Azerbaïdjanais fut le sentiment d'amertume et une des cibles de leur amertume fut Sakharov. Il y eut une véritable campagne de lettres de protestations adressées à cet estimable champion des Droits de l'Homme et rien dans ces lettres ne semble trahir une inspiration d'origine officielle. Mais outre l'amertume, il y a aussi parmi les Azerbaïdjanais un sentiment croissant de force révélé par la crise actuelle. Gorbatchev eut beau mutiplier les allusions et les gestes de sympathie en faveur des Arméniens, il a fini par se laisser guider par des considérations relevant de la politique réaliste.

Il semble peu probable qu'il continue à contrarier les Musulmans soviétiques après les récents soulèvements au Kazakhstan et la purge du Politburo dirigée contre les membres natifs des républiques musulmanes. Il susbsiste, en outre, le danger de l'émergence d'un bloc des nationalités musulmanes de l'Union Soviétique. Contrairement aux Baltes et aux Slaves, les Kazakhes, les Turkmènes, les Uzbeks, les Kirghiz et les Tadjiks s'associent de tout coeur avec les Azerbaïdjanais et le problème du Garabagh les rapproche encore davantage. Les Azerbaïdjanais pensent aussi que Moscou ne saurait faire fi de l'opinion des états musulmans voisins tels que l'Iran et la Turquie, qui s'intéressent particulièrement au maintien du statu quo au Daglig-Garabagh. C'est pour cette raison que des manifestants à Bakou brandissaient les portraits de Khomeyni et le drapeau turc, cherchant ainsi à rappeler que peuvent renaître d'anciennes politiques.

Il est temps de tirer des conclusions de ce qui a été dit plus haut. Le problème du Garabagh, en gestation depuis longtemps, a fini par prendre corps ouvertement il y a un an de cela, démontrant clairement que ce conflit au sujet d'un petit territoire s'est transformé en expression d'un problème plus vaste d'antagonisme ethnique. Cependant, il est également clair que dans le passé - et maintenant encore - le conflit azerbaïdjanais/arménien sert à mobiliser les communautés respectives autour d'inspirations nationales plus vastes. Au demeurant, l'antagonisme ethnique n'était ni absolu, ni irréversible, ni même constant. En fait, les Azerbaïdjanais ont toujours eu conscience de la destinée commune des peuples transcaucasiens, ce qui s'exprimait à travers les programmes du fédéralisme régional. A aucun moment les Azerbaïdjanais n'ont demandé la destruction de l'Arménie. Même l'idée d'un Grand Azerbaïdjan basé sur l'union avec la partie du pays détenue par l'Iran n'impliquait nullement des revendications visant le territoire arménien. II faut espérer que la violence inter-communautaire sera enregistrée par l'histoire comme une série d'incidents regrettables mais non en tant que ligne de conduite permanente.

APPEL DE LA DIRECTION DU FRONT POPULAIRE DE [.'AZERBAÏDJAN (15 janvier 1990)

Au soir du 13/01/90 et dans la nuit du 13/01/90 au 14/01/90 se sont produits dans la ville de Bakou des actes de violence envers la population arménienne. Les crimes se poursuivirent le lendemain dans une moindre mesure. En tout, selon les informations officielles, 32 personnes de nationalité arménienne ont été tuées durant ces deux jours. Il y a eu aussi des victimes parmi la population azerbaïdjanaise.

La direction du FPA condamne fermement les crimes commis et considère ces événements comme la conséquence de la violation brutale du traité de l'Union de 1922 et de la Constitution de l'URSS par les organes Soviétiques législatives et executives qui :

- ne garantissent pas la souveraineté et l'intégrité territoriale de la RSS d'Azerbaïdjan,

- ne répriment pas les actes de terreur et d'agression politique de la part de la RSS d'Arménie et des nationalistes arméniens sur le territoire de la RSS d'Azerbaïdjan,

- effectuent des opérations non déguisées pour la soustraction du Daglig-Garabagh à la juridiction de la RSS d'Azerbaïdjan,

- ne remplissent pas leurs obligations de la protection des droits constitutionnels des 200 000 citoyens de l'URSS de nationalité azerbaïdjanaise - réfugiés de la RSS d'Arménie, déportés de force de leurs propres terres par les autorités locales et les groupements nationalistes (cette déportation n'est pas la première. Avant l'établissement du pouvoir Soviétique plus d'un demi-million d'Azerbaïdjanais habitaient l'Arménie), en aucun cas nous ne justifions la violence qui a eu lieu les 13 et 14 janvier, nous voulons en révéler les causes, normaliser la situation à Bakou et garantir la protection de tous ses habitants. La direction du Front Populaire de l'Azerbaïdjan concentre en ce sens tous ses efforts.

"POURQUOI LA VILLE DE BAKOU FUT ENSANGLANTEE" Tamara Dragadze, The Times, 17 janvier 1990, p. 12

"... Quand les Arméniens inaugurèrent leur campagne dans le Daglig-Garabagh aussi bien qu'en Arménie, les Azerbaïdjanais eurent le sentiment d'être trahis par le silence gardé par Moscou. Les Azerbaïdjanais disent qu'ils auraient été plus confiants si le Kremlin avait déclaré fermement dès le début qu'on ne prévoyait nul changement dans les frontières établies par la constitution.

Ce conflit fut qualifié d'"ethnique", alors qu'en réalité il s'agit d'une dispute territoriale entre deux Etats nations".

"PATHETIQUE APPEL DE GORBATCHEV" Claude-Marie Vadrot, le Journal du Dimanche, 21 janvier 1990

... Erevan, au cours des dernières semaines et hier encore, vers 4 heures du matin, des avions en provenans du Liban ont debarque des armes, des mortiers et des pistolets-mitrailleurs.

Les déchargements ont eu lieu de nuit sous la protection d'officiers de douane arméniens. Aucun Russe ne figure plus depuis plusieurs jours dans les services de douane de l'aéroport.

Ces débarquements d'armes semblent avoir commencé au mois de septembre. Au moment où la guérilla s'est intensifiée dans le Nagorny-Karabakh, dans Erevan et dans les villages qui se trouvent entre la capitale et la frontière de l'Azerbaïdjan, on rencontrait de plus en plus d'hommes armés. Et aussi beaucoup de jeunes excités à la fois dangereux et prêts à faire n'importe quoi.

A la tête de ces bandes, on rencontre aussi de plus en plus d'Arméniens venus de Beyrouth et de Damas. Certains de ces hommes sont très proches des milieux terroristes et des milices chrétiennes libanaises. Plusieurs centaines d'Arméniens libanais spécialistes ou habitués des combats de rue sont donc arrivés sans visa. Une partie d'entre eux est encore en ville mais la plupart sont déjà dans les régions frontalières les plus proches de Goris et aussi en face de Khanlar.

Le comité "Karabakh" est devenu un véritable comité paramilitaire.

"LES CRIMES DU NATIONALISME" Jean-François Kahn, l'Evénement du jeudi, 25-31 janvier 1990, p. 18 (extrait)

"Les nationalistes arméniens qui déclenchèrent l'année dernière le cycle de l'horreur au Caucase en proclamant l'annexion du Haut-Karabakh. Mais, rétorquera-t-on, sur le fond ils avaient raison, puisque le Daglig-Garabagh placé sous la juridiction de l'Azerbaïdjan, est peupler majoritairement d'Arméniens sans doute. Mais Hitler aussi avait raison quand il proclamait que les territoires des sudètes étaient peuplés majoritairement d'Allemands".

"POUR LES AZERBAÏDJANAIS, LE CONFLIT N'EST PAS RELIGIEUX", Audrey Altstadt, New York Times, 31 Janvier 1990

Malgré tout le respect dû à mes collègues mentionnés dans "Des siècles de conflit entre deux groupes", votre article du 17 janvier sur Parrière-plan historique de l'hostilité entre Azerbaïdjanais et Arméniens, il faut souligner que le conflit n'est pas religieux, du moins pas du côté azerbaïdjanais, et assurément pas pour le Front Populaire d'Azerbaïdjan.

L'examen des documents publiés depuis quelques mois par le Front Populaire (en partie russe, mais pour la majeure partie en azéri), montre une absence de thèmes ou de revendications religieux de la part des Azerbaïdjanais. Le Front a souligné la mise en application de la perestroïka, le contrôle de la vie économique et politique locale, des mesures pour protéger l'écologie et les libertés civiles pour tous les citoyens de la république.

Ces revendications sont semblables à celles des fronts populaires de la Baltique et d'ailleurs et comme elles, sont dirigées contre les conditions de la domination russe. Les revendications azerbaïdjanaises concernent aussi la région autonome du Nagorno-Garabagh que l'Azerbaïdjan considère comme une partie de patrie historique et qui est quelquefois appelée le "berceau" du patrimoine artistique et littéraire de l'Azerbaïdjan.

Durant près de 200 ans de domination russe en Azerbaïdjan, l'Islam n'a pas été utilisé comme base de mobilisation politique. Les exceptions furent rares et de courte durée. Même les récentes manifestations le long de la frontière iranienne étaient, malgré les assertions iraniennes de motivations religieuses, l'expression de la solidarité nationale et personnelle entre les Azerbaïdjanais membre d'une même famille séparés depuis des années.

Du côté soviétique, nombreux sont ceux qui veulent être autorisés à rendre visite à leurs parents en Iran sans subir de pressions ou de retombées politiques ; ce sujet devrait être abordé dans la rubrique des droits de l'homme.

Pour comprendre les conflits et les peuples de cette partie du monde, nous devons étudier leur histoire, leur culture et leurs idées tels qu'ils les écrivents eux-mêmes dans leur propre langue.

"EVENEMENTS EN AZERBAÏDJAN' association pour l'étude des nationalités (URSS et Europe de l'Est), Prof. Tadeusz Swietochowski, bulletin ¹°2, février 1990, Etats-Unis

"... Au cours de la crise du mois de janvier en Azerbaïdjan, le souci primordial de Moscou, fut de préserver le pouvoir du Parti et du gouvernement soviétique...".

"LETTRE au Dr Peter GLOTZ" Député au Bundestag, j Madjid Moussazadeh |, Munich le 4 février 1990

Très cher et très honoré Dr. Glotz !

Tout d'abord, je souhaiterais me présenter en deux mots : je suis Azerbaïdjanais et j'habite depuis 40 ans en Allemagne, je me trouve marina une Bavaroise, dont j'ai eu deux enfants. Ma femme et moi avons toujours été frappés par votre intelligence, votre résolution, votre ardeur au travail ainsi que par la vivacité de votre esprit.

Au cours de la récente émission sur ZDF, depuis Francfort, vous avez défendu, sur la question des nationalités en Union Soviétique, des positions difficilement compatibles, à mon ^sens, avec les principes sociaux-démocrates de liberté, ce qui nous a fort déçu de votre part. Il est tout à fait surprenant que si peu de politiciens occidentaux comprennent les mouvements de libération des peuples en Union Soviétique - ou plutôt qu'ils ne veuillent pas les comprendre.

La perestroïka n'a apporté aux peuples aucune amélioration substantielle, bien au contraire, la situation tant politique qu'économique de ces peuples a connu une détérioration drastique, ce que politiciens et journalistes soviétiques reconnaissent eux-mêmes.

Les émigrés qui seraient prétendument de mauvaise volonté, se trouvent informés au premier chef et mieux que quiconque sur les événements en cours dans leur pays d'origine. Dans un pays aussi riche que l'Azerbaïdjan viennent à manquer les produits alimentaires de base tels que le pain, la viande, le beurre, le sucre, le thé et même le savon.

Les peuples du dernier empire colonial du monde, en l'occurence l'Union Soviétique, en ont véritablement assez de l'oppression et de l'exploitation de Moscou, comme des pénuries "transitoires" (que 1 'on observe depuis 70 ans déjà). Ils souhaitent être enfin libérés de la tutelle, de l'exploitation, de la corruption, du népotisme, du règne de la calomnie et du culte magnifiant du Parti.

A ces peuples aussi, la Perestroïka et la Glasnot de M. Gorbatchev ont redonné l'espoir, mais ils durent faire à nouveau l'expérience que ce n'était qu'une bulle de savon de plus. Après cinq années, quelque progrès devrait pourtant être perceptible. Pourtant, ni l'ancienne direction du Kremlin, ni l'économie communiste, ni le système social ou politique ne sont le moins du monde capables de produire quelque chose de concret. Aussi, de la Baltique aux confins chinois, tous ces peuples - y compris le peuple russe - se sont-ils soulevés, qui ne veulent en Union Soviétique plus rien avoir de commun avec ce régime.

C'est la vraie raison qui justifie que le Caucase, et singulièrement l'Azerbaïdjan, aient été mis au pas, au rythme des chars T-72. M. Gorbatchev et ses collègues ont transformé la Perestroïka" en Perestrelka (une fusillade, littéralement en russe).

Le Kremlin a toujours pour politique et ce, déjà du temps des Tsars, d'écraser dans l'oeuf et de manière sanglante toute tentative de protestation ou tout désordre suspect. Vous savez bien que le régime soviétique a coûté aux peuples qui lui sont soumis la vie d'environ 40 millions d'innocents. A chaque nouvelle Perestroïka, le dénouement fut le même.

Monsieur le député au Bundestag, avec tout le regret que je vous dois, puis-je attirer votre attention sur le fait que les événements qui se produisent en Azerbaïdjan, Géorgie, Arménie, dans les Pays Baltes ou ailleurs, n'ont que fort peu en commun avec un quelconque racisme, un nationalisme au sens étroit, ou encore, avec la religion et le schi'isme : de telles catégories ne sont pas seulement sans intérêt pour la compréhension de ces phénomènes, bien plus elles nuisent à ces peuples de la manière la plus dangereuse qui soit. En effet de telles assertions fournissent aux dirigeants soviétiques prétexte à prendre des mesures plus sévères encore.

Le résultat, nous l'avons sous nos yeux. Après que les Chefs d'Etat et de Gouvernement occidentaux eurent assuré M. Gorbatchev de leur soutien, il put envoyer l'armée sur Bakou, afin qu'elle y écrase dans un bain de sang les manifestations pacifiques, non-armées et non-violentes de la population civile sur qui l'on a ouvert le feu de tous côtés et que l'on a écrasé avec les chars. Des centaines, si ce n'est des milliers d'enfants, de femmes, d'hommes jeunes et vieux sont restés sur le pavé des rues.

Vous, cher M. Glotz, avez dans votre intervention télévisée, condamné "le nationalisme", défendu la Fédération manière soviétique. Cela n'est pas juste, venant d'homme politique de votre stature.

Les peuples en ont tout simplement assez de continuer à vivre sous une telle oppression. Ils veulent pour leur pays introduire enfin un modèle de société à la fois libre, démocratique et indépendante. Après 70 ans où il leur fallait courber l'échiné, ils veulent vivre comme des homVnes, et non plus comme des esclaves.

Peut-on, doit-on refuser aux peuples de l'Union Soviétique les droits et les devoirs que l'on reconnaît aux Allemands depuis plus de 40 ans ? Si oui, de quel droit et au nom de quelle logique ? A titre de comparaison : les événements de RDA seraient de ce même point de vue, eux-aussi l'oeuvre de "nationalistes". Penser en termes nationaux ou être un nationaliste ce n'est pas tout fait la même chose.

Il n'est pas bon de défendre la fédération soviétique, pour la simple raison que les peuples qui la composent n'y ont pas été agrégés de manière volontaire, mais bien sous la férule de Moscou. Tous les peuples qui ont en 1922 été conduits par des stratagèmes de Lénine et Staline à y entrer, étaient jusqu'en 1920/21 des républiques indépendantes. Ainsi, par exemple, PAzerbaïdjan fut-il, dans tout le monde musulman mais aussi dans tout l'Orient proche et lointain, la première république, authentiquement démocratique, avec un Parlement librement élu où tous les groupes et minorités ethniques étaient représentés. Sans doute, tous n'étaient-ils pas parfaits, mais au moins le pays était-il libre et indépendant, autant que la Géorgie ou l'Arménie.

En 1922, sur injonction de Lénine, les Répuliques de Transcaucasie furent réunies en une fédération, avec un parlement et un gouvernement où leurs représentants alternaient. Pour autant, Staline considérait cette fédération, même contrôlée par Moscou, comme un danger, aussi la fit-il disparaître en 1936 dans les sables, en laissant fusiller toute sa direction.

Echaudés par ces mauvaises expériences, les peuples caucasiens aspirent à quitter la fédération soviétique. Ils sont informés de l'opinion de l'Occident, même si les chances sont jugées minces ; et ils sont en tous cas déçus de la position négative de l'Ouest, fort surpris de ce que le Communisme, hier encore si combattu, soit si vite devenu vertueux aux yeux des occidentaux.

Très cher M. Glotz, je tiens à vous remercier de votre attention et demeure votre très dévoué.

"LE FEU PREND A BAKOU* Edouard Sablier, le Spectacle du Monde, mars 1990 (extrait)

La mission de l'Armée rouge n'était donc pas de briser un mouvement "intégriste". Son intervention s'explique par d'autres motifs. Le général Dimitri Yazov, ministre soviétique de la défense, qui s'était rendu sur place pour superviser personnellement les opérations, a confirmé : "Mikhaïl Gorbatchev a ordonné l'intervention pour empêcher les nationalistes azéris de prendre le pouvoir. Les directives données à l'armée étaient de détruire les structures des organisations nationalistes".

M. Gorbatchev affirmait de son côté : "l'action des forces extrémistes en Azerbaïdjan avait pris une tournure ouvertement hostile à l'Etat soviétique. Elle constituait indéniablement une atteinte à la Constitution et à l'ordre social".

... L'emploi de la force armée a en principe rétabli l'ordre. Mais l'Azerbaïdjan, intégré depuis un siècle à la communauté russe, redevient un pays étranger, en lutte contre l'occupant. Dans les rues de Bakou, des drapeaux noirs flottent aux fenêtres. Des portraits de Gorbatchev sont affichés au coin des rues avec, comme dans les films de "western", la mention "WANTED".

"LE FRONT POPULAIRE DE L'AZERBAIDJAN / AZERBAÏDJAN HALG DJEBHESF/ Audrey Altstadt, AACAR (bulletin de l'association pour le développement des recherches centre-asiatiques) vol III, n° 1, printemps 1990, université du Connecticut

Le Front Populaire d'Azerbaïdjan (FPA) est légal depuis l'été 1989. Le FPA, les groupes apparentés ainsi que les partisans d'une réforme nationale en Azerbaïdjan ont exposé leurs griefs et leurs besoins dans des publications en russe et en azéri. Leurs revendications sont précises et concernent l'économie, la politique, l'écologie et la culture.

Ils proposent à l'hégémonie russe une alternative qui, pour être réalisée, demanderait un changement profond des relations entre l'Azerbaïdjan et Moscou et entre Russes et Azerbaïdjanais, au sein même de la République.

Le FPA s'est élaboré depuis 1988 au moins, sur la base de propositions soumises à débat par l'élite savante et artistiques au travers de publications en azéri tout au long des années 80. Il est donc le point culminant d'un mouvement ayant connu une longue gestation. Le programme et le bulletin du FPA accordent une large place aux questions économiques et politiques, qui nécessitent le plein exercice de la souveraineté de la république, garantie par la Constitution, et le contrôle des ressources naturelles et des décisions économiques.

Le programme défend la garantie des droits civiques, un traitement égal pour toutes les nationalités résidant dans la république et la protection de l'environnement et du patrimoine culturel (dont l'usage de la langue azérie et le retour aux noms de lieux et de personne d'origine).

Il "condamne l'usage de la force dans le combat politique..." et décide que "les valeurs fondamentales du FPA sont l'humanisme, la démocratie, le pluralisme, l'internationalisme et les droits de l'homme. (1) Donc, malgré les efforts de Gorbatchev pour justifier l'emploi de plus de 20 000 hommes de troupe à Bakou en invoquant le "fondamentalisme islamique", la réalite ne reflète aucune influence de ce genre.

Les griefs économiques sont sans doute ceux qui ont été discutés le plus largement. Le professeur Mahmoud Ismaïlov, spécialiste d'histoire économique de l'Académie des Sciences de F Azerbaïdjan, a mis à jour les caractéristiques de certaines injustices jusque là évoquées à voix basse seulement. (2) Selon les calculs des économistes, la république a un déficit commercial annuel de 2,5 milliards de roubles. Etant donné qu'elle est fournisseur de matières premières comme le coton, le pétrole, le raisin, elle perd chaque année 8 à 10 milliards de roubles. L'Azerbaïdjan vend le coton brut 500 à 700 roubles la tonne alors que les produits du coton gagnent 12 à 13 roubles la tonne. "L'Azerbaïdjan exporte annuellement pour 135 millions de roubles de laine en Géorgie et en Arménie, tandis que les produits finis rapporteraient 10 à 15 fois plus au revenu national". Ces accusations sont formulées par Bahtiyar Vahabzade (député du peuple, poète national et membre correspondant de l'Académie des Sciences d'Azerbaïdjan) et par Ismaïl Shykhly (romancier, membre du comité éditorial du journal AZERBAÏDJAN). (3) Tous deux citent le prix du pétrole, Vahabzade cite le prix de 35 roubles la tonne, le comparant

** (1) - Publié intégralement en anglais dans Central Asia and Caucasus Chronicle, vol. 8, n° 4 (Août 1989). Le premier bulletin du FPA (Biulleten initsiativnogo tsentra narodnogo fronta azerbaïdjana, n° 1, 1989. En russe, 10 pages), date de l'été 1989 par le Centre d'initiative du FPA, mais les déclarations qu'il contient remontent à mai et à novembre 1988. Il contient un appel à tous les citoyens de la RSS D'Azerbaïdjan à rejoindre, le Front Populaire pour réaliser la perestroïka dans la république, "sans distinction de parti, de nationalité ou de religion

(2) - Publié en version anglaise dans Central Asia and Caucasus Chronicle, vol. 8, n° 3, juillet 1989 ; en russe dans le nouveau journal Azerbaïdjan, le 5 novembre 1989 sous le titre "V roli pasynkov". Le journal, créé en octobre 1989, a pris le nom d'Azerbaïdjan en souvenir du journal du même nom qui parut de 1918 à 1920, pendant la période d'indépendance

(3) - Deux articles parus dans Azerbaïdjan le 1er octobre 1989**

au prix de 140 $ la tonne sur le marché mondial : "... Nous vendons l'or comme du minerai pour rien, puis nous achetons des produits manufacturés faits à partir de ces matières premières pour trois fois leur prix". Shykhly précise que PAzerbaïdjan vend son pétrole 3 roubles par tonne plus cher qu'il ne coûte à le produire : "Autrement dit, nous gagnons 3 roubles par tonne. Est-ce raisonnable de vendre 3 roubles une tonne de pétrole ?". Le véritable coupable est le plan central, c'est à dire le système dominant russe qui fixe les prix et l'écoulement des biens. Il n'a pas construit en Azerbaïdjan les entreprises nécessaires afin de permettre à la république d'élaborer des produits finis à partir de ses propres matières premiières et de fournir des emplois à son propre peuple. Si l'on ajoute à cela la crise sanitaire et écologique due à l'excès de pesticides, il n'y a pas de surprise si ces gens sont assez hardis pour parler de colonialisme.

La question du NKAO elle-même, comme toutes les autres qui sont à l'ordre du jour du FPA, concerne en réalité le système soviétique. C'est ce système qui a tracé les frontières (et l'Azerbaïdjan s'est là aussi trouvé lésé) pour les réajuster périodement depuis 1921. La question est souvent donnée en exemple de l'infraction par Moscou de la souveraineté de PAzèrbaïdjan.

On sent bien la nécessité d'évoquer les Russes quand on étudie les relations arméno-azéries. Les dirigeants du FPA et les autres (4) ont mentionné le rôle des Russes dans les récents incidents de la capitale, et le prétexte avancé par le gouvernement pour l'envoi de troupes à Bakou malgré le retour au calme. Le véritable but, disent-ils, était d'écraser leur mouvement. Il y eut de nombreuses provocations de ce type lors des conflits de 1905 (5) et un Azerbaïdjanais a déclaré "qu'il ne manque pas actuellement de tels provocateurs". (6) Le mouvement national de

** (4) - Entretiens téléphoniques, 21 janvier 1990

(5) - Presse locale de l'époque, cf Altstadt, "Baku 1813-1913", Michael F. Hamm, éd. The city in late impérial Russia (Bloomington, Indiana University presse, 1985), Tadeusz Swietochowski, Russian Azerbaïdjan 1905-1920 (Cambridge U press, 1985)

(6) - Entretien téléphonique, 20 janvier 1990**

l'Azerbaïdjan est politique, économique, culturel (7), écologique et national, mais il n'est pas religieux. Son concept est réformiste, voire socialiste, mais pas islamique. Les dirigeants du FPA ont démenti toute base religieuse de leur mouvement, ce qui est confirmé par tous les discours et publications. Les manifestations le long des frontières iranienne et turque, malgré la motivation religieuse proclamée par la radio de Téhéran, visaient à garantir aux Azéris la libre circulation pour leurs relations avec leurs parents vivant en Azerbaïdjan iranien. Il se peut que le cas del'Allemagne les ait incités à agir à ce moment précis.

A la suite de l'attaque de Bakou, Yazov, le Ministre de la Défense, puis Gorbatchev lui-même, ont reconnu que l'envoi des troupes à Bakou avait pour objet d'empêcher le mouvement national de prendre le pouvoir. Pourquoi en ce cas Gorbatchev a t-il crié au danger du "fondamentalisme islamique" quand il envoya les troupes ? Se peut-il qu'il ait été mal informé ? Son équipe n'avait-elle pas connaissance des nombreuses déclarations et publications des dirigeants du FPA ? N'en ont-il pas commencé la lecture que lorsque les soldats ont ouvert le feu ? Il se peut que le rôle de petits groupes usant de l'argument religieux ait été exagéré. Il se peut que Gorbatchev ait décidé de croire la radio de Téhéran. Ou bien la cible véritable fut-elle, ainsi que l'ont dit les Azerbaïdjanais et comme le suggèrent les propos de Gorbatchev, le Front Populaire d'Azerbaïdjan ? Il semble que Gorbatchev ait été bien informé de la popularité et du programme du FPA et de la menace que ce dernier représentait pour le contrôle soviétique d'une zone aussi importante sur le plan économique et politique, que l'Azerbaïdjan.

Les troupes soviétiques ont fermé les bureaux et les lignes téléphoniques du FPA et arrêté 40 de ses dirigeants, dont l'historien Etibar Mamedov arrêté à Moscou, à plus de 2 000 km de Bakou qu'elles occupaient. L'ironie du sort a voulu que Gorbatchev répète l'erreur du tsar Nicolas II qui, en fermant en 1906 la première Douma, ne réussit qu'à écarter les modérés de la scène politique et à polariser ceux qui y restèrent.

** (7) - L'activité culturelle est très intense depuis longtemps. Récemment a été exprimé dans Azerbaïdjan le désir d'écrire la vérité historique, de changer les noms de lieux et d'établissements et d'utiliser les noms traditionnels plutôt que leur forme russifiée : "Yeni gazetimiz, yeni arzularimiz, 2 octobre 1989, et "Familyarimiz nedje yazag ? (Comment écrire nos noms de famille ?), anonyme, 6 novembre 1989**

La présidente du Soviet suprême (d'Azerbaïdjan) déclara aux Russes que "FAzerbaïdjan ne pardonnerait jamais le massacre de ses fils et filles". (8) L'argument de la menace "islamique" n'a pas été abandonné et les dirigeants nationaux sont encore qualifiés d'"extrêmistes" et de "fanatiques". Gorbatchev a intérêt, pour préserver son "image" à l'ouest, à décrire le mouvement national d'Azerbaïdjan comme fanatique. Pas de meilleur moyen, pour prévenir toute critique occidentale de ce bain de sang, que de brandir le spectre du "fondamentalisme", véritable bête noire de l'ouest. Le programme du Front Populaire d'Azerbaïdjan est trop connu pour que que même les milieux savants comprennent qu'il n'a rien de commun avec le "fondamentalisme islamique". Aucun pays occidental n'a de "lobby azerbaïdjanais" qui puisse faire une mise au point.

Dans le contexte de l'ère gorbatchevienne, le traitement sanglant infligé aux Azerbaïdjanais s'applique aussi à l'Asie centrale. Les revendications des Kazakhs ont été rejetées et leurs protestations durement réprimées. En connait-on seulement le chiffre ? Les Tatars de Crimée ont subi le même sort de la part de Gorbatchev comme de ses précédecesseurs. Les promesses de "considérer" leur cas sont restées sans suite. De même, de nombreux Ouzbeks ont été jugés pour "corruption", ce que tous, excepté, les aveugles volontaires, ont commencé à considérer comme un stratagème.

Même le Tadjikistan est le cadre à présent d'événements sanglants et là aussi l'Islam" est en question, alors que les griefs ont été clairement exposés. En politicien, Gorbatchev compose avec ceux, que l'ouest regarde, ceux qui ont en Europe, en Amérique du nord d'importantes communautés émigrées. Il lève une croisade spirituelle contre l'Islam, même si ces "Musulmans", nations d'hommes et de femmes de bonne volonté depuis des années, ne demandent que la mise en oeuvre de la perestroïka pour elles autant que pour les autres.

** (8) - Des témoins oculaires de Bakou parlent de spectateurs non armés tués dans la rue ou sur leur balcon, et de voitures écrasées avec leurs passagers, par les tanks. Le journal de Bakou Seher (3 février 1990) a consacré un numéro spécial à la liste des 120 victimes connues (nom, prénom, date de naissance, nationalité ; presque toutes azerbaïdjanaises et la majorité ayant entre 20 et 40 ans), et à la liste des centaines de blessés (noms et âge). Le nombre de morts officiels est en-deçà de la réalité. Des sources mentionnent des centaines de morts, d'autres des milliers. ***

 

"DEUX POINTS DE VUE LES CAUSES DE LA COLERE DES AZERBAÏDJANAIS : PHENOMENE ECONOMIQUE, RELIGIEUX OU ETHNIQUE ?" Rapport de Wahington sur les Affaires du Moyen Orient, avril 1990, page 25 (extrait)

Dr. Audrey L. Altstadt : "... L'envoi par Gorbatchev des troupes soviétiques à Bakou en janvier 1990, fut dénoncé en tant que violation de la souveraineté de la République. La création du "régime spécial" pour le Daglig-Garabagh, que les Azerbaïdjanais considèrent comme leur patrimoine historique, fut blâmé pour la raison identique".

"En tout premier lieu, le mouvement national d'Azerbaïdjan représente un défi à l'hégémonie russe dans tous les domaines. Les chefs du mouvement lancent ce défi en s'appuyant sur leur propres droits nationaux, culturels et humains".

Dr Tadeusz Swietochowski : "... Le but suprême poursuivi à long terme par le nationalisme Azerbaïdjanais a toujours été la réunification des deux secteurs : le soviétique et l'iranien".

"... Des trois courants qui se manifestèrent dans le soulèvement Azerbaïdjanais : l'Islam, l'antagonisme ethnique et les aspirations nationales, c'est le dernier, exprimé en termes de lutte pour l'union et l'indépendance qui se révéla comme la force la plus dynamique...".

 

Louis ROUX, le Figaro, 2 avril 1990, p. 2

... Je me demande quelle serait l'attitude de M. MITTERAND si la Corse, la Savoie, la Bretagne et, pourquoi pas l'Aquitaine, et j'en passe, demandaient "dans la logique de la liberté et du réveil des nationalités" à faire sécession.

A.N. MOUTALYBOV (Premier Secrétaire du Comité Central du Parti Communiste d'Azerbaïdjan), Pravda, 4 juillet 1990, p. 4 (extrait)

Je veux répéter une fois de plus que la direction politique du pays ne s'est pas rendue compte de la nature destructrice pour l'Etat tout entier que représente le séparatisme, qu'on qualifie à tort de mouvement pour l'autodétermination dans le cadre de la région autonome.

Voici un exemple de dissonance au plus haut niveau de la direction du Parti : à Bakou, tout au début du conflit qu'on sait, un membre du Politburo parle de l'inadmissibilité d'un nouveau découpage des frontières alors qu'en même temps, dans la République voisine, un autre membre du Politburo soutient en fait le séparatisme sous prétexte du droit du peuple à l'autodétermination. Je ne voulais pas en parler mais je m'y vois forcé. Il s'agit du Camarade E.K. Ligatchev à Bakou et du Camarade A.N. Yakovlev à Erevan.

Le temps a démontré que la position du centre est inefficace. Disons le ouvertement : sans connaître l'histoire du problème, sans posséder les données de la situation, sans s'encombrer d'analyse objective des causes du conflit, les fonctionnaires du Centre transformèrent l'Azerbaïdjan en un polygone servant de terrain d'essais pour des décisions irréfléchies. Le résultat ? Un conflit qui se prolonge, des pertes humaines.

Eldar SAFAROV, journal "Vetenin Sesi" 18 juillet 1990, p. 7, Bakou

(Extrait)

... J'attire votre attention sur les brutalités perpétrées par les Arméniens qui se considèrent comme la nation la plus civilisée du monde. Les monuments culturels azerbaïdjanais restés en Arménie sont balayés de la surface de la terre. Tout ce qui concerne notre passé historique est détruit de la façon la plus barbare (Note : les clichés photographiques montrent les tombeaux profanés au cimetière d'Agh-Dede, dans la région de Zanguibassar en Arménie).

Entretien avec le dramaturge et député du peuple de l'URSS Roustam IBRAGHIMBEKOV, revue "Sovetsky ekran", juillet 1990. Propos recueillis par Sima BEREZANSKAYA (extrait)

Dans la nuite du 19 au 20 janvier à Bakou a péri une quantité de gens énorme pour une période de paix ; parmi les victimes, des femmes, des enfants et des vieillards. Il y eut également de nombreuses victimes dans les autres régions d'Azerbaïdjan. Cette tragédie de mon peuple est la conséquence de la combinaison de nombreux facteurs, causes et circonstances. Mais il y a aussi une raison première, le problème du Daglig-Garabagh.

C'est le climat passionnel qui entoure les prétentions territoriales de l'Arménie envers l'Azerbaïdjan qui a causé l'exil forcé de deux cent mille Azerbaïdjanais des terres sur lesquelles ils vivaient depuis des siècles. Et ni le gouvernement du pays, ni aucune organisation civile, ni aucun défenseur des droits n'a pris la défense des réfugiés. La douleur, la colère, l'abaissement, les violences physiques qu'ont subi ces gens se retrouvant sans rien à Bakou, à Soumgaït et dans d'autres villes, ont entraîne une nouvelle vague de violence : Soumgaït en Azerbaïdjan, Goukark en Arménie et les terribles pogroms de janvier à Bakou, à la suite desquels toute la population arménienne a quitté la ville où elle vivait de génération en génération.

Comme toujours dans des situations de tension sociale, se sont révélés les bandits, la mafia, les forces ayant intérêt à l'aggravation de la crise sociale.

Au risque de m'attirer la juste colère de mes compatriotes, je ne conteste à personne le droit de considérer le Daglig-Garabagh comme une terre arménienne, bien que la réalité historique témoigne le contraire.

Une autre chose m'étonne : même si la partie arménienne considère qu'elle a raison, comment peut-on, au vingtième siècle, avec une ténacité aussi fatale et des méthodes aussi tragiques pour tous, chercher à atteindre le but fixé, en un moment historique et si critique pour le pays et pour le monde ?

Et comment la direction du pays, capable des plus dures mesures comme elle le montre à présent, n'a-t-elle pas pu prendre d'initiative dès le début du conflit, qu'elle a involontairement laissé ainsi s'aggraver jusqu'à des événements tragiques !

Je veux espérer que la tragédie de Bakou sera la dernière pour notre pays qui a déjà tant souffert.

"LE   CONFLIT   DU   DAGLIG GARABAGH   VU   DE   BAKOU"   Arif YOUNOUSSOV, Express-Khronika, n° 34,21 août 1990, Moscou

Un homme réagit de façon subjective et malgré tous ses efforts, il lui est difficile d'évaluer certains événements de façon impartiale et conforme à la stricte vérité, surtout quand pour une raison quelconques ces événements le touchent au vif. Je comprends fort bien qu'alors qu'Erevan et Khankendi interprètent à leur façon les causes du conflit et de la situation présente, Bakou ait, pour sa part, une tout autre opinion sur ce sujet. Cependant, de part et d'autre, les contestataires sont persuadés avoir raison et que c'est eux qui ont cerné la vérité en ce qui concerne la situation dans la région. A ceci vient s'ajouter le manque total d'informations pratiques.

Or, l'absence d'informations peut jouer un rôle négatif. Dans l'intérêt de la normalisation de l'état actuel des choses et d'une meilleure compréhension mutuelle, il est indispensable de commencer par clarifier les positions des parties en présence.

Examinons donc la conjoncture en Azerbaïdjan et en Arménie telle qu'elle se reflète dans la conscience d'un Azerbaïdjanais de Bakou. Pour commencer, je noterai un point qui frappe le plus à la lecture de la presse non-officielle d'Arménie et de celle de l'URSS. En lisant les commentaires des événements en Arménie, on pourrait penser que le peuple arménien désire passionément se séparer de l'Union Soviétique. Pour ma part, j'en doute fort et mes doutes sont partagés par beaucoup d'Azerbaïdjanais. Contrairement à la Géorgie et à PAzerbaïdjan, l'Arménie fut historiquement -du moins depuis un siècle et demi- l'alliée stratégique et le soutien fidèle de la Russie en Transcaucaise. C'est ainsi qu'on le comprenait en Arménie et qu'on le comprend encore de nos jours. Un exemple fort instructif à cet égard fut fourni par la récente conférence internationale sur le sujet "La société et l'histoire de la Transcaucasie Soviétique" qui eut lieu du 17 au 19 juillet 1990, à Londres. Des personnages non-officiels aussi bien des scientifiques des trois républiques transcaucasiennes, des historiens de Moscou, des scientifiques occidentaux ainsi qu'un groupe appartenant à la diaspora arménienne prirent part à cette manifestation.

Au cours de cette conférence et de la "table ronde" qui eut lieu à la rédaction de la B.B.C., la position officielle du camp arménien concernant le problème de l'indépendance du pays et de sa sortie éventuelle de l'Union Soviétique fut résumée de la façon suivante : "la Géorgie obtiendra son indépendance, l'Azerbaïdjan également deviendra indépendant ; quant à l'Arménie, elle sera forcée de le devenir encore que nous n'y sommes pas intéressés. Car l'histoire se répète et nous passerons de nouveau par cette même voie".

Tous les Géorgiens unanimement, les Soviétiques aussi bien que ceux domiciliés à l'étranger, se prononcèrent pour l'indépendance. Tous les Azerbaïdjanais n'étaient pas d'accord sur ce point mais il faut prendre en considération le fait que la délégation comprenait aussi des membres de l'appareil du parti. Cependant, les Arméniens y compris les membres du "Mouvement National Arménien" (MNA) et aussi ceux de la diaspora, vivant à l'étranger (et ce sont ces derniers qui en réalité formulent un grand nombre de questions relevant de la politique intérieure de l'Arménie) se sont prononcés pour le maintien de la république dans le cadre de l'URSS. Il est à remarquer que les politologues occidentaux bien connus défendent un point de vue analogue. Ils ajoutent seulement que contrairement à ce qui se passe dans le cas de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan, c'est la diaspora arménienne, établie en Californie, qui dans bon nombre de cas, décide du destin de l'Arménie. Là-bas on garde pour le moment le silence et on n'encourage guère des discussions au sujet de l'indépendance d'Arménie. Il en va de même des communistes.

Bien entendu, il y a en Arménie des forces qui militent pour l'indépendance. Ceci concerne en premier lieu "l'Union de l'autodétermination d'Arménie" avec Paruyir Ayrikyan. Mais selon une expression quelque peu vulgaire, ce ne sont pas eux qui font la pluie et le beau temps dans la république. Et que dire du MNA ? C'est ici que nous touchons au point principal. Si on laisse de côtés les belles paroles telles que "la démocratie" et la "perestroïka" pour se référer à ce qui est écrit en Occident (et non pas à Erevan et surtout pas à Moscou) par certains militants du "Mouvement de Karabakh", on découvre un tableau fort prosaïque. C'est ainsi que Lilya Grigorian, ' une des militantes du mouvement national arménien, exposait clairement dans un article publié en janvier 1989, dans le journal "Strana i Mir" (le Pays et le Monde) et qui parait à Munich, que la clique de Demirtchiyan se trouve à la source du mouvement "Karabakh" et que ce groupe a commencé à s'agiter au printemps 1987. Elle précisait que l'organisation des manifestations dans le Garabagh aussi bien qu'en Arménie était dirigée par le KGB d'Erevan avec, bien entendu, l'approbation de certains responsables de Moscou.

Pour quelques-uns ce sera peut-être une révélation inattendue mais pas pour nous autres en Azerbaïdjan. La population arménienne du Daglig-Garabagh (et cela est particulièrement vrai pour la génération précédente) ne s'est pas soumise à la pression exercée sur elle du jour au lendemain. On nous a franchement décrit au cours de cette période les détails de la naissance de ce mouvement "démocratique". Le développement ultérieur des événements en fut fortement marqué. Alors qu'en Arménie le MNA et d'autres organisations sont persuadés que tout, ou presque tout, est lié à une décision "conforme à la justice" au sujet du Daglig-Garabagh comme le facteur essentiel de leur activité. Ce qui est encore plus important, c'est que nous pensons que nous sommes tous des victimes d'un système totalitaire et que la tâche principale qui incombe à tout le monde c'est celle qui vise l'effondrement de ce système et non pas la lutte fraticide entre esclaves d'un même empire.

Selon les informations qui viennent de Bakou par divers canaux, il se passerait actuellement en Arménie ce à quoi nous nous attendions depuis longtemps : le MNA qui représente une formation populiste du peuple arménien a effectué une jonction avec le Partgosapparat (Appareil d'Etat et du Parti) de la république et a créé un parlement martial, agressif, écrasant sous son poids les forces démocratiques. Notons un détail intéressant : alors qu'autrefois la presse républicaine agissant sur les instructions du Comité Central du Parti Communiste d'Arménie, se permettait, ne serait-ce que rarement, de critiquer le MNA, actuellement une pareille déviation n'est plus admise. Procédons à une comparaison : en Azerbaïdjan aucune organisation -et cela s'applique aussi bien au FPA- n'est à l'abri d'une critique sévère au niveau officiel ou officieux. L'Arménie actuelle, pour sa part, rappelle vivement l'URSS du temps de Staline : phraséologie ultra-révolutionnaire au sujet de la démocratie, des droits de l'homme, de la liberté, etc., avec, comme contrepartie, l'écrasement total de tout cela. Aujourd'hui la dissidence en Arménie est tout aussi dangereuse qu'elle l'était dans les années 30-40 en URSS. Un exemple tout récent de cette démocratie : l'accès aux écoles russes est officiellement suspendu pour les enfants de nationalité arménienne (Express-Khronika n° 30 du 24 juillet 1990). Qu'advient-il des droits de l'homme dans ce cas ? Il s'agit encore d'un diktat malheureusement bien connu.

C'est un fait étonnant mais néanmoins vrai : même les publications de la presse non-communiste, y compris celles du MNA affirment constamment que l'Arménie n'est pas une république ruinée par 70 ans d'administration communiste mais bien un pays libre et civilisé ou "l'homme respire librement" et si les "sauvages Azerbaïdjanais n'y mettaient pas d'obstacles", un avenir radieux, ou quelque chose dans ce genre, y aurait été instauré depuis longtemps. Ce serait en Azerbaïdjan qu'on se livre constamment aux actes de génocide contre les Arméniens et qu'on opprime d'autres nationalités alors qu'en Arménie... Oui, c'est vrai que les Azerbaïdjanais furent chassés du territoire arménien, mais pendant longtemps, pendant presque 9 mois après Soumgaït, le peuple arménien eut la force de se maîtriser, après quoi il céda à "une courte poussée" d'indignation. Quand on entend qu'en novembre 1988 on avait expulsé -ensemble avec les Azerbaïdjanais- des dizaines de milliers de Russes (11 000 d'entre eux restèrent en Azerbaïdjan et nous-mêmes leur avons procuré du travail à Bakou et à Soumgaït) et 18 000 Kurdes musulmans, ceci étonne beaucoup. L'étonnement augmente encore quand on apprend qu'en Arménie des Azerbaïdjanais furent victimes de progroms qui ont fait, seulement 117 morts en novembre 1988. Actuellement on compte 148 tués y compris un bébé de deux mois et une vieille femme de 75 ans, des centaines de blessés, et la population azerbaïdjanaise de plus de 200 000 personnes, fut exilée. Ce processus avait commencé un an et demi avant Soumgaït. Les progroms avaient un caractère massif et les dirigeants du MNA étaient non seulement au courant de ces actes mais même les encourageaient. C'est ainsi qu'un d'entre eux, Raphaël Kazarian, membre-correspondant de l'Académie des Sciences de la RSS d'Arménie, au cours de la réunion qui eut lieu le 4 nombre 1988 sur la Place du Théâtre, lança un appel insistant "à assurer par tous les moyens Fémigration avec l'aide des-détachements qui furent créés d'avance. Pour la première fois depuis des décennies nous avons l'occasion de purger l'Arménie. Je considère ceci comme le plus grand succès de la lutte que nous avons menée depuis les dix derniers mois" (recueil des discours "Arménie : vingt mois de lutte", publication du MNA, 1989, p.15). Les pogroms commencèrent en Arménie 20 jours plus tard.

En Azerbaïdjan la presse et les interventions au cours des réunions publiques condamnaient sévèrement les pogroms contre les Arméniens. Déjà lors d'une des premières réunions qui avaient lieu à Bakou le 16 mai 1988, on avait exigé un procès public contre les criminels de Soumgaït. On entendait par là non seulement ceux qui avaient tué mais aussi ceux qui avaient organisé ce crime. En janvier 1990, le FPA condamna publiquement et résolument les pogroms arméniens dans son journal "Azadlyg" (n° 1 du 18 janvier). Le FPA, ainsi que les autres programmes non-officiels, firent tout en leur pouvoir pour protéger les Arméniens face à l'inactivité complète de l'armée et de la police. Qui par contre en Arménie a condamné publiquement les pogroms dont les Azerbaïdjanais furent victimes ? Quels sont les membres du MNA qui ont tenté de les sauver ? Et pourquoi les représentants de l'Arménie participant aux divers entretiens, préfèrent ne pas répondre à cette question ?

Ce que nous avons exposé plus haut ne peut qu'inquiéter les Azerbaïdjanais. Il faut se rendre compte que les forces démocratiques en Azerbaïdjan sont encore relativement faibles et soumises à une forte pression de l'appareil de l'Etat du parti local qui exécute fidèlement les ordres de ses maîtres de Moscou. Qui plus est, on note les attaques fréquentes des militants arméniens contre les villages frontaliers et l'intrusion éventuelle des groupes para-militaires arméniens sur le territoire d'Azerbaïdjan après l'évacuation des troupes soviétiques de ce territoire. En profitant d'une telle attaque ou de toute autre provocation à la frontière de la république, la réaction azerbaïdjanaise se préoccupera de liquider en premier lieu les pousses fragiles de la démocratie interne pour trouver par la suite un terrain d'entente avec ses "collègues" en Arménie.

Je me rends bien compte que tant en Arménie qu'ailleurs, on est persuadé que la menace vient d'Azerbaïdjan où le pouvoir véritable serait entre les mains des "préposés aux pogroms" du FPA. Je puis assurer qu'il s'agit d'un mythe et que la tâche essentielle du FPA depuis sa création fut la politisation des masses. Malgré la résistance puissante de l'appareil du partie (infiltration du mouvement par ses agents, l'effort de discréditer le FPA auprès de l'opinion publique tant en URSS que dans le monde en général, des nombreuses provocations, etc...), le FPA a atteint le but qu'il s'était fixé. Il y a actuellement en Azerbaïdjan près de 70 partis en tous genres, des organisations et forces politiques diverses. Une cinquantaine d'entre eux se sont dernièrement unis en bloc pré-électoral, "PAzerbaïdjan démocratique" faisant opposition au parti communiste. Malgré l'état d'urgence en vigueur presque depuis un an et demi et malgré la répression.

Les groupes paramilitaires apparurent en Azerbaïdjan début janvier 1990 à la suite de la forte aggravation des événements dans le Daglig-Garabagh. Mais après le sanglant mois de janvier dans la république, l'armée a rapidement liquidé ces groupes. Ici on arrête même pour la possession et la diffusion du "samizdat" : donc il ne peut s'agir d'armes ! Nous nous rendons bien compte que l'Azerbaïdjan est une région stratégique et que le Centre ne va pas se gêner avec nous, d'autant plus que l'Occident soutiendrait toute action - même sanglante - de Gorbatchev contre "les fondamentalistes musulmans". On étoufferait aussi dans l'oeuf toute tentative de créer une armée nationale.

L'Arménie, c'est autre chose : on ne demande pas mieux ! Quelles sont les armes qui servent à équiper les Arméniens ? Il s'agit d'armes militaires et non d'armes de chasse et elles furent obtenues des dépôts de l'armée. N'essayez pas de me convaincre que ces armes furent acquises àb la suite d'un combat entre l'armée soviétique et non pas après entente. J'ai moi-même servi dans l'armée et je sais bien par quelle voie les armes quittant les dépôts militaires arrivaient dans les mains des Arméniens et des Azerbaïdjanais au mois de janvier. Et aujourd'hui c'est avec une facilité suspecte que "l'armée" égare ses armes. Je sais très bien aussi que le commandement est parfaitement renseigné sur les effectifs des groupes paramilitaires arméniens et sur les endroits de leur dislocation et pourrait les désarmer rapidement et sans problème et surtout sans effusion de sang. Il le pourrait, mais il ne le veut pas. Tout comme on ne veut pas protéger efficacement la frontière de l'Azerbaïdjan contre les attaques des militants arméniens. Car de cette façon il est plus facile de maintenir la soumission en Azerbaïdjan. En effet, actuellement, malgré les convictions anti-communistes et anti-militaristes, les Azerbaïdjanais ne veulent pas que l'armée quitte le Daglig-Garabagh et les frontières occidentales. Nous n'avons pas d'armée à nous et nous n'en aurons pas tant que nous ferons partie de l'URSS. Par conséquent, il faut "prendre patience, nourrir et prier" pour l'héroïque armée soviétique.

Il est vrai que, selon les militaires, ces détachements de militants d'Arménie peuvent refuser de se soumettre au contrôle et il faudra donc les menacer paternellement. C'est ce qu'on avait fait à la fin du mois de mai. Bien entendu, en Azerbaïdjan on n'a pas pris au sérieux l'information au sujet des attaques des militants arméniens contre la pauvre armée soviétique. Il s'agissait clairement d'une action d'intimidation habituelle de la part des Arméniens.

Existe t-il un moyen pour sortir de la situation difficile actuelle ? Je n'en sais rien et je ne vois pas une telle perspective de nos jours. Même si le nouveau soviet suprême d'Arménie parvenait à unifier les nombreux détachements des militants cela ne ferait pas disparaître la menace qui pèse sur l'Azerbaïdjan. Ce serait plutôt le contraire. Pour l'Arménie aussi, cette armée soumise à une nouvelle force "organisatrice et dirigeante" -le MNA- ne constituerait pas la meilleure perspective dans la voie vers la démocratisation. La dissidence y est déjà interdite. En ce qui concerne l'Azerbaïdjan, il n'y a pas là pour le moment d'autre alternative que le maintien sur son territoire .de nombreux détachements de l'armée soviétique créant l'aspect de défense des frontières azerbaïdjanaises et servant de soutien fidèle à ceux qui exercent l'autorité dans la république. Faute de quoi, au lieu des victimes tombant chaque jour sous les balles des militants arméniens et des explosions d'autobus, il y aurait de nouveaux fleuves de sang.

"FONDAMENTALISME ANTMSLAMIQUE (anatomie d'une mythologie politique) Eldar NAMAZOV, journal "Elm", 1 septembre 1990, Bakou

Depuis deux ans, ce qu'il est convenu d'appeler le "fondamentalisme islamique" revient souvent sur le devant de la scène, comme s'il était florissant dans notre République.

Si nous.n'avons pas besoin de nous prouver combien ces assertions sont loin de la réalité des choses, nous devons par contre réfléchir à l'origine de l'émergence de cette rumeur provocatrice, aux objectifs qu'elle vise et à la raison qui la fait s'insérer avec tant de succès dans l'esprit des hommes. Une telle propagande, mensongère, massive et coordonnée, dirigée vers un peuple se trouvant au centre d'une vaste politique et sous le regard permanent de l'opinion mondiale, est un phénomène non fortuit mais dicté par un lointain calcul.

Avant tout, quelques mots sur le rôle de la religion dans la société azerbaïdjanaise contemporaine.

Les excursions historiques comme les recherches sociologiques actuelles l'attestent également : le fondamentalisme islamique n'a jamais eu et n'a pas aujourd'hui, dans la République, de terrain socio-politique solide. Le peuple azerbaïdjanais n'a jamais mené de guerre religieuse contre ses voisins.

L'une des raisons invoquées est l'existence traditionnelle en Azerbaïdjan de deux courants islamiques, le shiisme et le sunnisme. Le "fondamentalisme islamique" apparaît généralement dans la variante sunnite ou shiite. L'absence en Azerbaïdjan de tolérance religieuse aurait pu devenir pour l'Azerbaïdjan un facteur de cataclysmes ethniques (analogues à ceux qui se produisent entre sunnites et shiites au Liban) et conduire à une "désethnisation" progressive de la population et à l'apparition de deux nouveaux groupes "subethniques". Le danger est aggravé par le fait que l'Azerbaïdjan se trouvait au centre du triangle "sunniite-shiite" (Caucase-Turquie-Iran) où les sympathies politiques s'identifiaient naturellement aux sympathies religieuses. Pour cette raison, le peuple azerbaïdjanais a adopté pendant des siècles comme mécanisme ethnique de défense, une tradition de tolérance religieuse en garantissant son unité.

Il convient de souligner que jusqu'au début du XIXe siècle, la principale menace pesant sur les traditions de la structure de l'état azerbaïdjanais émanait naturellement des puissants états islamiques voisins.

Donc, à la différence de la sphère de la culture spirituelle (où l'influence, notamment l'interprétation des couches nationales et religieuses était forte), le facteur islamique dans la sphère de la politisation d'Azerbaïdjan n'a pas de racines profondes. Même dans la règle habituelle qui régit la vie des communautés azéries, on remarque la prédominance du recours aux traditions ethniques et non aux normes classiques de l'islam.

L'exemple évident de la période tardive est la création de la République Démocratique d'Azerbaïdjan (1918-20), un état laïque avec liberté de la foi et représentation vaste de la population chrétienne dans les structures de l'état et de la société.

Ainsi, il y avait dans le Parlement de la République Démocratique d'Azerbaïdjan, des fractions de la "société russe et slave", des minorités nationales, arméniennes et autres. Dans le cabinet des Ministres de la R.D. d'Azerbaïdjan, fin 1918, les postes ministériels étaient occupés par : I.N. Protassov - finances, E. la. Guindés - santé (publique), K.P. Lizgar -production, etc...

Au cours des 70 dernières années, le fondamentalisme islamique a eu peu de conditions de se développer en Azerbaïdjan, après la soviétisation de la république, quand les serviteurs du culte ont dû faire face à la répression, les mosquées étaient fermées et le mot même d'"islam" fut interdit.

Lors de l'enquête publique menée à Bakou après les événements de janvier 1990, malgré la déclaration de M. Gorbatchev quant à l'idée de la création d'un état islamique en Azerbaïdjan, seulement 3,6 % des personnes interrogées l'ont approuvée et 2,4 % ont déclaré que l'acuité de la situation était liée à l'activité des structures religieuses. A la question directe portant sur le rôle de l'islam dans la république ; 76,7 % on souligné la nécessité d'une libre autodétermination des gens à l'égard de l'islam ; 47 %, la nécessité d'étudier la culture islamique et seulement 3,8 % ont appelé à la création d'un état islamique. En outre, 2,4 % ont proposé d'interdire la religion islamique dans la république.

Lors de l'enquête menée fin mai-début juin, le rôle du facteur islamique dans le conflit avec l'Arménie a été cité par 2,6 % des personnes interrogées. Cette tendance s'exprime aussi dans le contexte d'autres problèmes sociaux. Par exemple, à la question portant sur les causes du départ des Russes de la république après les événements de janvier, le lien avec la dégradation de la situation religieuse a été cité par 2,2 % en février et 3,3 % en mai-juin. Comment donc est apparue et a commencé à se répandre l'idée d'un puissant fondamentalisme islamique en Azerbaïdjan ?

Cela a été longtemps la prérogative de certains soviétologues occidentaux. Se distinguant peu de leurs contradicteurs soviétiques à la recherche de la "pierre philosophale" à laquelle doit forcément se heurter le monde social concurrent, des générations de savants occidentaux n'ont gagné leur pain que grâce à des sentences apaisantes : les musulmans d'Azerbaïdjan et d'Asie centrale s'éveilleront et montreront aux Chrétiens qui ils sont.

Les dernières années de la stagnation, des savants russes ont aussi commencé à "s'énerver", inquiets de la croissance prédominante de la population en Azerbaïdjan et en Asie Centrale. Les perspectives de changement de l'équilibre démographique du pays étaient décrites dans certaines "notes de rapports" sur un ton approchant l'esquisse de la fin du monde.

Mais les assertions concernant l'existence du fondamentalisme islamique en Azerbaïdjan ont acquis un caractère systématique avec le début du conflit du Garabagh, sous l'influence principale des publicistes arméniens. Ceci ne constitue pas un hasard dans la mesure où l'exagération de la "menace islamique" a toujours fait partie de la géopolitique arménienne. C'est la base des prétentions des peuples arméniens et non à des "relations particulières" ("les Arméniens étant un avant-poste du christianisme aux confins du monde musulman") et le soutien politico-stratégique correspondant, de la réalisation des exigences territoriales envers la Turquie et l'Azerbaïdjan. Dès le début du conflit du Garabagh, on a déployé activement la "carte musulmane" de la géopolitique arménienne, comptant non seulement sur Moscou mais aussi sur le monde occidental. On a commencé dans les massmédias, à faire la propagande d'un modèle de situation analogique à celle du proche-orient : l'Arménie chrétienne entourée de fanatiques musulmans, citadelle de la démocratie et de la civilisation déjà région. Le but de cette propagande : le statut de l'allié stratégique de Moscou et de l'occident dans la région et les intérêts matériels, politiques et psychologiques correspondants. Il faut dire que nos contradicteurs ont été pour beaucoup dans ce processus. Il suffit de rappeler le soutien dont a bénéficié dans le pays et à l'étranger le mouvement anticonstitutionnel du Garabagh. Les résolutions du sénat US et du parlement européen, l'accueil très favorable des leaders nationalistes (comme le fameux Z. Balaïan) dans les hautes sphères politiques du pays.

Un tel modèle de perception de la situation arrangeait aussi le centre. D'abord, aux yeux de l'opinion publique du pays, il fallait trouver une explication plausible à la protection constante du mouvement anticonstitutionnel Garabagh en Armémie et à l'absence de prise de mesures adéquates pour la protection de la souveraineté de l'Azerbaïdjan. Il fallait également trouver une justification aux répressions qui se préparaient contre le mouvement populaire et démocratique en Azerbaïdjan qui, à la différence du mouvement national arménien (évoquant des exigences territoriales et en appelant à la fidélité du centre), a avancé dès le début des objectifs incompatibles avec les intérêts du Kremlin : l'indépendance politique, l'unification de PAzerbaïdjan du nord et du sud.

De toute évidence, l'ancienne direction du parti de la république a aussi profité à un moment donné de ces étiquettes, tentant de copier sa propre incompétence, son refus de changements démocratiques, des "intrigues extrémistes" et par la même occasion de recevoir un soutien logistique du centre pour asseoir sa puissance.

Enfin, deux conditions encore qui ont joué un rôle négatif dans la propagation de ces élucubrations : le terrain favorable dans l'opinion publique occidentale et l'incompétence élémentaire des journalistes soviétiques et étrangers. L'inquiétude de l'occident face à l'extrémisme musulman véritable d'une série de despotes du proche-orient facilite l'identification du mouvement démocratique, dans les conditions d'un conflit interethnique sanglant, avec le terrorisme libanais ou lybien, dont le seul "contact" peut être les menottes, les matraques ou, comme à Bakou en janvier, les balles à centre de gravité déplacé. D'un autre côté, la révoltante incompétence du journaliste qui, ayant vu dans les meetings de Bakou le drapeau de la République Démocratique d'Azerbaïdjan (état laïc démocratique) sur lequel était représenté le symbole de l'islam, l'a pris pour la "bannière verte du prophète" !

En ce qui concerne la formation de telles "noires légendes", on pourrait écrire un ouvrage instructif, plein de paradoxes et de scènes dignes du théâtre de l'absurde. Par exemple, lors des meetings de Bakou où l'on condamnait la pratique de la discrimination nationale de la population azerbaïdjanaise de l'Iran, quand on a avancé l'idée d'une unification du nord et du sud et quand la partie iranienne, inquiète, a entrepris des démarches diplomatiques, la presse moscovite a accusé les manifestants d'"état d'esprit pro-Khomeiny" ! Et c'est pourtant passé, on y a cru...

Il y a encore l'implication dans cette campagne refoulée autour de ce qu'on appelle le "fondamentalisme islamique" en Azerbaïdjan, d'une seconde partie non moins dangereuse que la première. Sous le bruit de la propagande, on tente de cacher les états d'esprit politiques ayant pris des formes dangereuses, que l'on ne peut appeler autrement que "fondamentalisme anti-islamique". Il a déjà été question plus haut du pourcentage de personnes interrogées ayant proposé d'interdire la religion islamique en Azerbaïdjan. Sont-elles des athéistes convaincus ? Peut-être. Mais on ne peut manquer de voir aussi là la croisade d'une véritable islamophobie et le refus de l'islam comme part de la culture et de l'histoire. Cela s'exprime, et notamment dans cette campagne tapageuse, l'accusation du fondamentalisme islamique lancée à propos de tout mouvement qui a comme attributs le croissant et l'étoile.

Rappelons que l'accusation de fondamentalisme islamique lancée par M. Gorbatchev contre les Azéris a causé l'intervention des troupes à Bakou et lui a permis d'obtenir le soutien tacite de l'opinion publique du pays à une action sanguinaire. Les enquêtes sociologiques ont dévoilé que 45,8 % des habitants de Bakou considèrent précisément la propagande anti-musulmane comme principale cause des effusions de sang dans la ville. Selon les conclusions du groupe d'expert indépendants (publiées récemment dans la presse de Moscou et de Bakou), une telle préparation militaire a effectivement eu lieu à la veille de l'intervention des troupes.

Le fondamentalisme anti-islamique est aussi lié à des causes politiques extérieures. Durant le XXe siècle, le monde occidental s'est heurté à quelques défis globaux. D'abord, l'idée socialiste a pratiquement quitté l'arène, après avoir perdu ses adeptes à mesure que se développait l'économie des pays capitalistes et que s'élevait le niveau des gens ; il y a relativement peu de temps aussi l'appel "militaire-communiste" de l'URSS et de ses satellites a commencé à perdre son sens. Cest à peu près à la même période que l'appel du "fondamentalisme islamique" qui a un caractère périphérique (regain d'agressivité en Iran, en Lybie et aujourd'hui en Irak), commence à acquérir aux yeux de l'occident le caractère d'une menace globale pour la démocratie et la civilisation.

La réaction de l'URSS est ici très particulière. Intéressés par un rapide renforcement de l'alliance des puissances suprêmes, certains acteurs du centre qui visiblement font du zèle dans la pression artificielle des sentiments anti-islamique, s'efforcent de prendre au plus vite une place d'un côté de la barricade, avec leurs voisins "civilisés et riches".

Ils font mine d'ignorer qu'une propagande si artificielle de sentiments anti-islamiques fait passer la ligne de la barricade séparant "fondamentalisme islamique et mode démocratique" par des républiques et des contrées peuplées de dizaines de millions de citoyens.

Ce n'est certes pas l'acquisition la plus intelligente et clairvoyante que celle qui arrive chez nous avec la vague "westernisation" de la société soviétique et qui trouve un terrain favorable en la symbiose des "ethnodémographes"   déclassés   et   dépassés   et   des   apparatchiks conservateurs. Ces derniers ont largement contribué à l'exagération de la menace "musulmane" causée par l'acuité de la situation politique interne et l'entrée dans la phase décisive de la lutte pour déterminer la voie de développement à long terme du pays. Dans ce contexte, le mythe de "menace   islamique"   de   PAzerbaïdjan,   du   Tajikistan   ou   d'autres républiques  est  comparable   au  mythe  de  la   "conspiration judéo-maçonnique" car ils permettent tous deux de diviser les mouvements sociaux du pays selon l'indice national-religieux. Ce n'est pas par hasard si les mouvements démocratiques des républiques de l'Union n'ont pas dépassé les limites de leurs frontières : pas un seul des nouveaux partis du pays n'a un caractère national à l'échelle de l'URSS.

Au fond, il s'agit d'une guerre psychologique dont le but est d'utiliser la population musulmane du pays comme "matraque psychologique" contre les mouvements démocratiques des autres régions, ainsi que le maintien de cette population musulmane comme réservoir conservateur, dernière place-forte du système commando-administratif (ceci en écrasant les mouvements démocratiques dans les régions musulmanes sous couvert de lutter contre le "fondamentalisme islamique"). Ce but s'est particulièrement révélé lors de la véritable manipulation des députés d'Asie Centrale et du Caucase au Soviet suprême d'URSS : les représentants de ces régions se sont retrouvés a priori membres du "club des députés conservateurs" et ont contribué à bloquer nombre d'initiatives importantes, préparées par les députés démocrates.

Cest ainsi que toute l'imagination et tous les artifices qu'ont déployé ces derniers temps les idées de la croissance du "fondamentalisme islamique" se révèlent aisément dans la réponse à la question "à qui cela profite t-il" ?

"UN CANON DE MITRAILLEUSE POUR UN LITRE D'ALCOOL" A. Ershov, "Izvestiya", 19 septembre, 1990, p. 6 (extrait)

L'instruction au sujet du vol et de la vente d'armes militaires dans une des usines de la ville de Kovrovo, de la région de Vladimir dura plus de neuf mois. 16 personnes, habitant à Kovrovo, à Moscou, à Erevan, se trouvent impliquées dans cette affaire et accusées de responsabilité criminelle à cet égard.

... C'est ainsi que lors de leur rencontre dans le restaurant "Sovetskaya", G. domicilié à Moscou et un dirigeant d'une des entreprises arméniennes, promirent d'acheter en gros des armes ... pour 100 000 roubles. Les criminels furent arrêtés au moment même où ils remettaient 95 000 roubles.

Bien entendu, le tribunal saura punir les coupables comme ils le méritent. Nous pensons que la justice notera aussi le fait que l'administration de l'usine de Kovrovo (le directeur : R. Sarkissian) créa par son laissez-aller les possibilités de voler les armes sans rencontrer d'opposition.

 

"AU COMITE DE SECURITE D'ETAT "Izvestiya, 6 novembre 1990, p. 8

La direction du KGB de la région de Briansk a dénoncé un groupe de personnes qui s'occupaient de l'achat illégal d'armes militaires se trouvant en possession de la population dans le but de les expédier en Arménie. On a trouvé chez les personnes arrêtées des fusils, des grenades, des mines et une grande quantité de poudre et de cartouches.

"L'ENCLAVE   DE   ZANGUEZOUR".   "Bakinskiy    Rabotchiy"   Eldar Namazov, 20 novembre 1990

Le 30 novembre 1920, une séance fut organisée par le Politburo et l'Orgburo du Comité Central du Parti Communiste (bolchevique) d'Azerbaïdjan dans le but de célébrer l'avènement du pouvoir soviétique en Arménie. Ordjonikidze, Stassova, Egorov, Sarkis, Kaminskiy, Serebrovskiy, Narimanov, Kassoumov, Karaev et Husseinov participaient à cette séance au cours de laquelle fut prise une résolution qui comprenait notamment les points suivants :

- "... d) Zanguezour est transféré à l'Arménie,

- e) le droit d'autodétermination est octroyé au Haut-Garabagh...".

Le lendemain, N. Narimanov déclara que les forces armées d'Azerbaïdjan quitteraient Zanguezour. C'est ainsi qu'eut lieu l'événement qui fut à l'origine des conditions causant les incidents tragiques qui dans notre région depuis février 1988.

L'idée de l'octroi de l'autonomie au Daglig-Garabagh et au Zanguezour fut longuement mûrie par G. Ordjonikidze, "gouverneur du Caucase", qui avait à maintes reprises fait les déclarations suivantes  "... J'obligerai Azerbaïdjan à proclamer l'autonomie de ces régions ; mais ceci doit émaner de PAzerbaïdjan ..." et "... nous déclarerons ici l'autonomie et j'organiserai la population arménienne".

Ordjonikidze n'a jamais fait mystère des bases de cette position : "je comprends parfaitement bien qu'on ne saurait exclure que l'Arménie pourrait nous devenir nécessaire dans certaines circonstances politiques". Il n'est pas difficile de comprendre ce qu'il faut entendre par "certaines circonstances politiques". Les territoires azerbaïdjanais sont devenus une monnaie d'échange dans le cadre de la "politique orientale".

Tant qu'il n'y avait que l'Azerbaïdjan de "soviétisé" on mettait en pratique le mot d'ordre, "seul le pouvoir soviétique peut garantir l'intégrité territoriale de PAzerbaïdjan". Mais aussitôt qu'ont eût déployé le drapeau rouge en Arménie, c'est le mode d'ordre suivant qui fut appliqué : "seul le pouvoir soviétique peut rendre Zanguezour à l'Arménie et forcer PAzerbaïdjan à proclamer l'autonomie du Garabagh". Il est à noter aussi que de tous les territoires réclamés par l'Arménie (Nakitchevan, Zanguezour, Garabagh) on lui octroyait justement celui, qui en conséquence de cette mesure, jouerait le rôle d'enclave dans le corps de la République, en la démembrant et en isolant Nakhitchevan. On créait de la sorte une situation qui devait dans l'avenir susciter aussi diverses combinaisons menant aux conflits entre nations, conflits qui ne pouvaient que provoquer un état de dépendance des deux républiques par rapport au Centre tout aussi puissant.

La mine à retardement qui avait somnolé pendant 70 ans manifesta son existence en février 1988.

En lisant les matériaux historiques de ces jours-là -et en particulier la Déclaration de N. Narimanov - on ressent invonlontairement de la colère et du regret au sujet de l'erreur tragique et des illlusions trompeuses : "dorénavant nul problème territorial ne pourrait devenir une cause d'effusion de sang entre deux peuples voisins depuis des siècles...". Quelques semaines se passèrent et les communistes azerbaïdjanais constatèrent qu'à la tête de l'armée de l'Arménie soviétique se trouvait le même Dashnak Dro, qu'au Garabagh et dans les autres territoires frontaliers de la république on envoyait les mêmes bandes, que même les communistes arméniens refusaient d'aller travailler en Arménie car ils ne faisaient pas confiance au nouveau gouvernement. Ensuite, la direction du parti communiste arménien formula officiellement les réclamations territoriales touchant le Garabagh. Les "cadeaux" territoriaux octroyés en l'honneur des communistes arméniens ont coûté cher au peuple azerbaïdjanais. On commença à y voir clair après le plénum de juillet du Bureau Caucasien du Parti Communiste (bolchevique) russe qui "a bien voulu" laisser le Garabagh à PAzerbaïdjan réclamant en échange sa partie située dans la montagne. En septembre 1921, à la séance de l'Orgburo et du Politburo du Comité Central du Parti Communiste (bolchevique) d'Azerbaïdjan, présidée par Kirov, on émit la résolution suivante : "prier le Bureau Caucasien du Parti Communiste (bolchevique) de réexaminer sa décision au sujet du détachement du Daglig-Garabagh ; ne pas proclamer l'autonomie tant que cela ne sera pas fait". En octobre 1921, la conférence des travailleurs responsables du Garabagh (des ouezds de Choucha, Javanchir, Goubadly et Kariyagin) adopta la décision suivante : "considérer comme inopportun le détachement du Daglig-Garabagh en région autonome distincte...".

Ces décisions étaient correctes et justifiées parce que les actes des dirigeants arméniens avaient en fait annulé tout ce qui était à la base des résolutions du 30 novembre 1920 et de la déclaration de N. Narimanov. Et ceci ne se rapporte pas seulement à la situation au Garabagh où les détachements Dashnaks continuaient leur travail de sape et provoquaient des interventions armées. Dans le district de Zanguezour, qu'on avait transféré en tant que "cadeau" à l'Arménie amie, on commença à persécuter ouvertement la population azerbaïdjanaise. Ces persécutions atteinrent une telle ampleur qu'au Ile Congrès des Soviets de la RSS d'Azerbaïdjan une question spéciale fut posée à leur sujet : "le gouvernement sait-il que dans le district de Zangezour les habitants paisibles sont expulsés par les armes du domicile auquel ils sont habitués et quelle mesure prend-on à cet égard ? ... Ces renseignements sont parvenus à l'Aztsik (Comité central exécutif d'Azerbaïdjan) et une question fut adressée au gouvernement d'Arménie...".

Malgré tout, le Comité régional du Parti Communiste (bolchevique) de Transcaucasie rappela en octobre 1922 leur "devoir" aux communistes azerbaïdjanais, et en été 1923, il présenta un ultimatum exigeant la déclaration dans le délai d'un mois de l'autonomie du Daglig-Garabagh, ce qui a été fait. De la sorte, cette déclaration de l'autonomie de la partie du Garabagh située dans la région des montagnes fut de toute évidence le résultat de la pression venant du Comité. Elle allait à rencontre de la position de la République et des intérêts de la population, intérêts que personne n'avait pris en considération. Cette circonstance permet de conclure que la déclaration de l'autonomie en question n'est pas valable juridiquement, car en décembre 1922 on avait déjà conclu un accord sur la formation de l'Union des Républiques Soviétiques Socialistes dont les clauses ne permettaient pas aux organes régionaux du Parti Communiste (bolchevique) de la Russie d'imposer aux républiques membres des décisions touchant leur organisation nationale et étatique. L'article I de l'accord détermine les compétences des organes du pays. Or, cet article n'attribue pas aux organes régionaux du Parti Communiste (bolchevique) de Russie le droit de dicter aux républiques des termes modifiant leur organisation nationale et étatique et la composition administrative de la république. Par ailleurs, ce sont les Congrès des Soviets qui étaient reconnus commes les organes suprêmes du gouvernement et dans l'intervalle entre les sessions du Congrès ce rôle était dévolu au TSIK (Comité Central Exécutif) de l'URSS. Il y a non-concordance flagrante dans le fait que six mois après la signature de l'accord sur la constitution de l'URSS, le plénum du Comité Régional du Parti Communiste de la Transcaucasie ait pris dans sa séance du 27 juin 1923 la décision "d'instruire le Comité Central du Parti Communiste d'Azerbaïdjan de détacher le Daglig-Garabagh dans le délai d'un mois pour le constituer en région autonome...". C'est en résultat de cette décision que fut publié le décret y afférant de l'Aztsik daté du 7 juillet 1923 "portant sur la formation de la région autonome du Daglig-Garabagh". Ceci est une violation grossière de l'accord de l'Union et un acte juridiquement non valable.

Telles furent les conséquences et le prix des décisions hâtives et irréfléchies adoptées le 30 novembre 1920, il y a 70 ans de cela. Il est bon de les rappeler aussi parce qu'elles furent basées non sur des évaluations erronées personnelles et des fautes isolées mais sur tout un système d'opinions et de convictions qui encore de nos jours causent des souffrances et des épreuves tragiques à notre peuple. Car encore maintenant on cherche à nous imposer l'idée qu'il existe des intérêts "particuliers" (des groupes ou du parti) qui doit être placés au-dessus des intérêts légitimes et naturels du peuple. Selon l'idée en question c'est seulement grâce à la volonté du Centre et par son entremise que nous pouvons défendre notre intégrité territoriale et assurer le développement de la république. En réfléchissant aux événements vieux de 70 ans, on commence à comprendre pourquoi la veille de'la discussion au sujet du nouvel accord d'Union, le Centre ne prend aucune mesure pour désarmer les troupes des militants d'Arménie illégalement constituées et pourquoi il cherche à se concilier les nationalistes et les extrémistes du Daglig-Garabagh. Les gens qui ne savent pas tirer des leçons des pages tragiques de l'histoire de leur propre peuple sont destinés à reproduire les anciennes erreurs.

"APPEL AUX PARTICIPANTS DE LA 47ème SESSION DE LA COMMISSION DE L'O.N.U. SUR LES DROITS DE L'HOMME" 25 janvier 1991

Les azerbaïdjanais émigrés ou exilés ou vivant en Europe et aux U.S.A. :

- expriment en leur nom la douleur et la colère de leurs frères azerbaïdjanais, victimes d'une agression permanente de la part de l'Arménie,

- veulent porter à la connaissance de l'opinion mondiale la vérité historique et dénoncer la contre-information dirigée contre eux,

- révèlent la nature des prétentions territoriales abusives des nationalistes arméniens.

Ils attirent l'attention des participants à la 47ème session de la Commission de l'O.N.U. sur les droits de l'homme sur les faits suivants :

Après avoir incité au début de l'année 1988 les habitants du Daglig-Garabagh au séparatisme, les nationalistes arméniens sont passés au stade de la guerre ouverte contre PAzerbaïdjan.

Depuis plusieurs décennies, les nationalistes arméniens vivant en France, aux U.S.A., en U.R.S.S. et dans d'autres pays, tout en exploitant vis-à-vis du monde le thème du génocide de Turquie, font le silence sur la violation brutale des droits de la population azerbaïdjanaise en Arménie.

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, sur le territoire de la seule province de PIravan qui allait former en 1920 la future Arménie soviétique où habitaient 407 000 personnes, il y avait plus de 250 000 Azerbaïdjanais.

Mais en fait le nombre des Azerbaïdjanais dans la république d'Arménie, créée en mai 1918, était déjà de 575 000, soit plus d'un tiers de sa population totale après l'abandon de la région de Zanguezour.

La première action du gouvernement de la république d'Arménie fut d'évincer et d'expulser les Azerbaïdjanais de leur terre natale. Rappelons que peu auparavant, en mars 1918, les bandes du commissaire arménien bolchevik Stepan Chaoumyan avaient massacré quelque 12 000 Azerbaïdjanais à Bakou et quelque 7 000 dans le district de Chémakha.

Dans le district de Zanguezour, les Arméniens, sous la conduite de leur général Andranik, tuèrent 8 000 Azerbaïdjanais -dont près de 3 000 femmes et 2 000 enfants- et brûlèrent 200 villages azerbaïdjanais. Après quoi, près de 100 000 Azerbaïdjanais quittèrent les districts de Sourmaly, d'Iravan, d'Etchmiadzin et de Charour.

Après la soviétisation du Caucase, la plus grande partie des terres azerbaïdjanaises usurpées par les Arméniens restèrent la propriété du territoire de l'Arménie soviétique. De plus, le territoire confiné à Mégri fut donné à l'Arménie et, par conséquent, la région de Nakhitchévan fut artificiellement coupée de l'Azerbaïdjan.

Plus tard, soit après le dernier conflit européen, en 1948-52, à l'initiative de Staline et de Mikoyan, plus de 100 000 Azerbaïdjanais d'Arménie furent déportés de force hors de leur terre natale, le prétexte étant de proposer des terres et des logements aux émigrés arméniens sollicités pour rentrer dans leur mère patrie mais dont finalement une très faible part revint... et une bonne part repatit d'ailleurs, après l'échec de leur adapation au régime.

Enfin en 1988, comme on le sait, les autorités arméniennes expulsèrent près de 200 000 Azerbaïdjanais de leurs terres historiques au titre de représailles après Soumgaït, en leurs donnants trois jours seulement -du 27 au 29 novembre 1988- pour abandonner leurs biens et quitter le pays dans les pires conditions.

Depuis la fin de l'année 1988, 150 civils azerbaïdjanais ont été tués par les Arméniens dans des attentats, assassinats individuels, ou tirs armés sur les villages frontaliers dont la liste suit.

Les tragédies de Soumgaït et Bakou.qui ont affligé tous les Azerbaïdjanais, ont été prétexte à une diffamation systématique du peuple azerbaïdjanais et qui a couvert toutes ces exactions.

Les nationalistes arméniens ont réussi à mettre en oeuvre leur slogan "l'Arménie pour les Arméniens". Actuellement, il n'y a plus d'Azerbaïdjanais, de Kurdes, de Géorgiens, de Juifs en Arménie. Cette république est aujourd'hui la seule à posséder une population monoethnique dans l'ensemble de l'U.R.S.S.

Nous demandons que la Commission de l'O.N.U. sur les droits de l'Homme :

- prenne des mesures concernant le rétablissement des droits des Azerbaïdjanais et leur retour en Arménie qui est leur terre d'origine,

- crée un groupe d'experts pour examiner dans les faits l'agression permanente de l'Arménie contre l'Azerbaïdjan, et ses résultats,

- appelle le gouvernement de l'U.R.S.S. à garantir l'inviolabilité territoriale de l'Azerbaïdjan.

 

LISTE

DES AZERBAÏDJANAIS SAUVAGEMENT TUES EN ARMENIE EN

1988

 

 

NOMS

 

PRENOMS

 

ANNEE DE NAISSANCE

 

 

 

Région de

 

MASSIS

 

 

 

1

2

 

Abbassov Abiev

 

Bahtiyar

Abbas

 

1958

1930

 

3

 

Goulieva

 

Sevda

 

 

 

4

 

Alekberov

 

Sabir

 

1958

 

5

 

Moukhtarov

 

Fakhreddin

 

1968

 

6

7

8

 

Naghiev Naghiev

Jabbarov

 

Baghir

Muchfig

Ghassim

 

1932

1955

1930

 

9

 

Jafarov

 

Eldar

 

1965

 

10

11

12

13

 

Jafarov Djafarova Djafarova Hassanov

 

Heydarali

Samoura

Rouhiyya

Ghanbar

 

1953

1978

1976

1934

 

14

 

Jafarova

 

Safa

 

1982

 

15

16

 

Nadjafov Mehdiev

 

Vali

Sabir

 

1920

1932

 

17

 

Ghouliev

 

Maharram

 

1960

 

 

 

 

NOMS

PRENOMS

 

ANNEE DE

 

 

 

 

 

 

 

 

NAISSANCE

 

 

 

 

Région de SPITAK

 

 

 

 

18

 

Baladjaev

 

Teymour

 

1958

 

 

19

 

Baladjaeva

 

Sureyya

 

1954

 

 

20

 

Baladjaev

 

Chahin

 

1979

 

 

21

 

Dachdamirov

 

Rahim

 

1932

 

 

22

 

Alekberov

 

Khidir

 

1957

 

 

23

 

Kossayev

 

Asker

 

1941

 

 

24

 

Kossayev

 

Sohbetdin

 

1932

 

 

25

 

Moustafayev

 

Charif

 

1930

 

 

26

 

Mammedova

 

Tazagul

 

1958

 

 

27

 

Pachaeva

 

Nazi

 

1905

 

 

28

 

Mammedova

 

Saray

 

1956

 

 

29

 

Ahmedov

 

Massim

 

1948

 

 

30

 

Bakhchiev

 

Elman

 

1956

 

 

31

 

Hummatov

 

AH

 

1932

 

 

 

 

Région de AMASSIA

 

 

 

 

32

 

Abassova

 

Maryam

 

1910

 

 

33

 

Abassova

 

Leyla

 

1908

 

 

34

 

Alieva

 

Khadidja

 

1912

 

 

35

 

Mammedova

 

Laie

 

1915

 

 

36

 

Hassanov

 

Muhid

 

1959

 

 

37

 

Hagverdiyev

 

Babek

 

1971

 

 

38

 

Mousaev

 

Mamed

 

1940

 

 

 

 

NOMS

 

PRENOMS

 

ANNEE DE

 

 

 

 

 

 

 

NAISSANCE

 

 

 

Région de SISSIYAN

 

 

 

39

 

Abdoullaev

 

Abdulla

 

1931

 

40

 

Alieva

 

Ghullu

 

1930

 

41

 

Namazova

 

Chachnissa

 

1932

 

42

 

Alieva

 

Khalise

 

1925

 

43

 

Babayeva

 

Firouza

 

1920

 

 

 

Région de GOUGARK

 

 

 

44

 

Bayramov

 

Gharib

 

1921

 

45

 

Ghazakhaliev

 

Ahmed

 

1933

 

46

 

Alieva

 

Abdoulla

 

1920

 

47

 

Alieva

 

Ghulsum

 

1912

 

48

 

Alieva

 

Fatima

 

1940

 

49

 

Aliev

 

Mehrali

 

1920

 

50

 

Iskenderov

 

Mehrali

 

1938

 

51

 

Iskenderova

 

Hanoum

 

1945

 

52

 

Iskenderov

 

Alim

 

1971

 

53

 

Mammedov

 

Souleyman

 

1938

 

54

 

Nabiev

 

Pahim

 

1914

 

55

 

Husseynova

 

Leyla

 

1925

 

56

 

Ghassimov

 

Mohamedali

 

1915

 

57

 

Ghassimov

 

Husseyn

 

1920

 

58

 

Massimov

 

Ahmed

 

1940

 

59

 

Sadygov

 

Vaguif

 

1958

 

60

 

Khalilova

 

Ghulsum

 

1920

 

61

 

Nabieva

 

Zahra

 

1981

 

62

 

Novronzova

 

Banovcha

 

1950

 

63

 

Mammedov

 

Mussallim

 

1964

 

 

 

 

NOMS

 

PRENOMS

 

ANNEE DE

 

 

 

 

 

 

 

 

NAISSANCE

 

 

 

 

Région de KALININO

 

 

 

 

113

 

Veliev

 

Mahomet

 

1915

 

 

114

 

Ghourbanov

 

Sadigh

 

1932

 

 

115

 

Gharabogha     z

 

Mahomed

 

1925

 

 

116

 

Ghara

 

Hamid Oglou

 

1943

 

 

117

 

Damirtchieva

 

Nazakat

 

1925

 

 

118

 

Yoltchouev

 

Ali

 

1925

 

 

119

 

Mammedova

 

Yassaman

 

1962

 

 

120

 

Moussaev

 

Nadjaf

 

1913

 

 

121

 

Sadyghov

 

Mahommet

 

1914

 

 

122

 

Temirov

 

Allakhyar

 

1955

 

 

 

 

Région D'ARARAT

 

 

 

 

123

 

Akbar Oglou

 

 

 

1988

 

 

124

 

Mammedov

 

Maharram

 

1906

 

 

125

 

Naghiev

 

Igbal

 

1908

 

 

126

 

Oroudjov

 

Nizami

 

1956

 

 

127

 

Ismailova

 

Gulkez

 

1908

 

 

 

 

Région de STEPANAVAN

 

 

 

 

128

 

Askerov

 

Hamid

 

1946

 

 

129

 

Amisraslanov

 

Ghadir

 

1966

 

 

130

 

Alieva

 

Samaya

 

1942

 

 

131

 

Iskenderov

 

Tamraz

 

1920

 

 

132

 

Moustafaeva

 

Basti

 

1929

 

 

133

 

Khalilov

 

Charif

 

1947

 

 

134

 

Khalilova

 

Gilas

 

1930

 

 

 

 

Région D'ALLAHVERDI

 

 

 

 

135

 

Mammedov

 

Rahman

 

1985

 

 

136

 

Hagverdiev

 

Hagverdi

 

1934

 

 

137

 

Aliev

 

Abbas

 

1912

 

 

138

 

Mammedov

 

Tofik

 

1986

 

 

 

 

NOMS

 

PRENOMS

 

ANNEE DE NAISSANCE

 

 

139

 

 140

 

Région DE GHORIS

Djavanchir            Roustam Oglou

 

Askerov               Barkhoudar

 

 

1916

 

1968

 

 

141 142 143 144

 

Région D'IDJEVAN

Ghourbanov         Tapdyg Oroudjev              Oroudj Rustamov             Yaghoub Oroudjeva            Tahira

 

1920

 1922

 1962

1957

 

 

145 146 147 148

 

Région DE GHAFAN

Novrouzova          Ghulnar Mammedov          Chirin

Aliev                    Vussal

 Ismailova              Mahrouza

 

1964

1940

 1985

 1947

 

 

149

 

Région D'AZIZBEKOV

Ghourbanov         Aloch

 

 

1928

 

 

150 151

 

Région D'EKHEGNADZOR

Khalilov                Yassin

 Nassirov               Vaguif

 

1946

 

 1952

 

 

152 153 154

 

Région D'IRAVAN

Karimov               Vaguif

Miskarov             Vidadi

Miskarova            Elza

 

 

1933

1956

1955

 

 

155 156

 

Région DE NOEMBERYAN

Namazov      Mahommet

Namazov              Elmar

 

 

1936

1966

 

 

157

 

Région DE KIROVAKAN

 Husseynov           Telman

 

 

1939

 

 

 

 

NOMS

 

PRENOMS

 

ANNEE DE NAISSANCE

 

 

158

 

Région DE TOUMANIYAN Mammedov          Rahman

 

 

1985

 

 

159

 

Région DE MEGRI

Ghourbanov         Izzat

 

 

1935

 

Tiré du journal "Vatanin Scsi", n° 16,8 août 1990, page 3.

 

DECLARATION DES DEPUTES DU BLOC "AZERBAÏDJAN INDEPENDANT" AU SOVIET SUPREME D'AZERBAÏDJAN, journal "Azadtyg", n° 3/33,17 janvier 1991

A l'occasion de l'anniversaire des tragiques événements de janvier à Bakou, nous faisons part de notre affliction quant aux victimes des conflits interethniques.

Malheureusement, les nombreux actes perpétrés durant les sanglants pogroms interethniques qui ont causé des pertes humaines en Azerbaïdjan, et Arménie et dans d'autres régions du pays, n'ont pas fait l'objet d'enquêtes complètes. Jusqu'à présent, on n'a dévoilé ni les organisateurs, ni les acteurs, ni les instigateurs, ni les complices des actes sanglants. Ces actes eux-mêmes ont servi de prétexte aux forces réactionnaires pour justifier leur désir de restaurer les structures totalitaires, récupérer leurs positions de force perdues au cours du processus de la perestroïka, fouler les prémices de démocratie qu'ils haïssent ainsi que le désir d'indépendance du peuple azerbaïdjanais.

Condamnant fermement les pogroms d'Arméniens en Azerbaïdjan de même que les pogroms d'Azerbaïdjanais en Arménie, les députés attirent l'attention des autorités sur la nécessite de dévoiler et de dire au peuple toute la vérité sur ces événements, sur ceux qui les ont provoqués pour justifier l'emploi violent de l'armée contre la population pacifique de Bakou et dans les régions de la république. Nous appelons les gouvernements, les députés du peuple, et tous les hommes de bonne volonté, à faire preuve de sagesse, à éviter tout acte provoquant la colère nationale, et à mettre fin à la violence.

APPEL DES ARMENIENS DU DAGLIG GARABAGH AU PEUPLE AZERBAÏDJANAIS, journal "Panorama d'Azerbaïdjan" n° 4, février 1991, p 1-2, Moscou

Depuis trois ans nous nous abreuvons à la coupe amère du chagrin humain : il est bien temps que nous parlions ouvertement de notre vie, de notre douleur et de l'angoisse que nous ressentons au sujet de la destinée de notre pays natal, le Daglig-Garabagh. Nos coeurs et nos âmes sont endoloris, notre esprit est exténué ! Assez de sang, assez de souffrances !

Tous les Arméniens honnêtes comprennent maintenant qu'intoxiqués par la "grande idée", ils ont trahi les traditions de bon voisinage léguées par leurs ancêtres.

Depuis des siècles, les Arméniens et les Azerbaïdjanais vivaient côte à côte au Garabagh en bons voisins, se soutenant mutuellement et partageant jusqu'à la dernière croûte de pain. Et voilà qu'aujourd'hui la fusillade éclate sur cette terre antique et que le malheur est installé dans chaque foyer.

Qu'avons-nous donc acquis, nous les Arméniens du Garabagh, au cours de ces trois terribles années d'hostilité ?

Qu'avons-nous à dire à nos enfants ?

Que notre patrie s'est transformée en une zone de nationalisme effréné ; que l'économie de la région est ruinée et que nos frères et soeurs sont au bord de la famine ; que le peuple du Garabagh a perdu la tranquillité spirituelle, le sentiment de sécurité et la foi qui permet à chacun d'entre nous de jouir de la vie terrestre pendant la durée qui lui est allouée par le Très-Haut ; que les montages, les forêts et les routes se sont transformées en tranchées ardentes dont les terroristes se servent pour détruire des gens absolument innocents.

Nous croyons que tôt ou tard notre peuple apprendra à connaître le vrai visage des instigateurs du "mouvement de libération", remplis de haine pour les hommes et se rendra compte de ce qu'étaient les démagogues qu'il prenait pour les "pères de la nation". Non loin d'apporter le bonheur à la population du Garabagh, ils s'en servirent pour prendre leur revanche de la faillite de leurs plans et nous ont jetés dans le feu des hostilités en nous propulsant vers la catastrophe nationale.

Ne transigeons pas avec la vérité. La semence du mal a produit une récolte de sang et de haine. Les Azerbaïdjanais n'auraient pas dû permettre Soumgaït, les pogroms de Bakou, la mort et l'exil des innocents.

Nous savons que ce n'est pas vous qui avez commencé. Les premiers réfugiés furent les Azerbaïdjanais exilés de force d'Arménie et du Daglig Garabagh. Des paysans, des journalistes, des femmes et des enfants azerbaïdjanais tombèrent et tombent encore sous les balles des militants arméniens.

Mais les Arméniens ont perdu dans le conflit entre nationalités infiniment plus que ce qu'ils ont gagné. Telle était la conclusion, dit-on, des académiciens arméniens qui dressèrent le bilan secret de trois années passées. Nous autres, gens simples, constatons le coeur ulcéré les résultats de cène aventure. Voici ce que nous avons perdu :

-   une des meilleures capitales du monde, rempart du vrai internationalisme humain - la ville de Bakou,

- près de 80 000 emplois bien rétribués en Azerbaïdjan,

-  des milliers d'hectares de terres fertiles d'Azerbaïdjan qui nourrissaient généreusement les Arméniens,

- des chaires universitaires, 673 postes de direction au sein des organes soviétiques et du Parti d'Azerbaïdjan, des dizaines de postes influents de secrétaires de Raykom (comité régional) du Parti, de présidents de Rayispolkom (comité exécutif régional), de membres du gouvernement républicain.

Le droit de partager la joie et le chagrin. Il n'y a plus d'Arméniens et d'Azerbaïdjanais assistant en commun aux noces joyeuses du Garabagh, plus de larmes versées en commun, plus de soutien fraternel entre voisins dans les journées pénibles de la séparation d'avec des proches.

Toutes ces pertes amères devraient peser sur la conscience des dirigeants passés ou présents d'Arménie qui jadis ne nous considéraient pas comme des Arméniens véritables. Pourquoi ressentent-ils soudain cet amour brûlant pour nous ?

Mais on commence à y voir clair. Beaucoup d'entre nous se libèrent de la crainte inspirée par les menaces de "nos" nationalistes et cherchent le moyen de rétablir les rapports normaux avec le peuple azerbaïdjanais.

Nous avons la foi : on peut sortir de la crise ! Nous considérons qu'il faut pour cela:

- adhérer à l'Orgkomitet de la République pour le Daglig-Garabagh et nous sommes déjà entrés en contact avec eux ;

- débarrasser entièrement la région des terroristes, de tous les instigateurs à l'hostilité entre nationalités, de tous ceux qu'on nous expédie du dehors et des nôtres. Nous demandons l'aide du Ministère de l'Intérieur, du Ministère de la Défense et du KGB de l'URSS pour réussir dans cette tâche ;

- ne pas permettre aux autorités d'Arménie d'intervenir dans les affaires de l'Azerbaïdjan. Nous demandons au Conseil Suprême de l'URSS de s'en tenir strictement à ce principe ;

- proclamer l'interdiction pour deux ans d'une activité hostile quelconque. Pendant ce laps de temps nous saurons résoudre par nos propres moyens toutes les questions en suspens. Car qu'est-ce que la réconciliation ? Réconciliez vous avec le voisin à droite et avec le voisin à gauche... Nous sommes prêts à le faire ;

- rétablir les organes du Parti, soviétiques et autres, qui dirigent le district autonome et pour cela procéder aux élections démocratiques au Conseil Suprême d'Azerbaïdjan, aux Conseils du district, urbains et régionaux sous le contrôle des commissions électorales désignées par le Président de la République. Nous ne permettrons pas des élections clandestines. On s'est assez moqué de nous ! Nous ne tolérons pas que les Balayan, les Mantoutcharov, les Grigorian, les Babayan, les Mirzoyan - ces tricheurs politiques et ces intrigants soient élus en tant que députés de notre peuple. Nous voulons participer, de concert avec le peuple azerbaïdjanais, à la création d'une vie nouvelle, digne des hommes.

Nous sommes sincèrement convaincus que les blessures du Daglig Garabagh ne peuvent être guéries que dans le cadre de la République elle-même. Que les conseillers dont nous n'avons pas sollicité l'avis - et cela s'applique également aux Arméniens de Moscou, d'Erevan et diaspora - nous laissent en paix.

Depuis mille jours, nous sommes gardés, nous et les frontières de l'Azerbaïdjan, par des militaires du Ministère de l'Intérieur de l'URSS, par l'armée soviétique, par le KGB et la milice. Les enfants russes, kazakhs, biélorusses, ukrainiennes et tadjiks sont menacés comme nous par le malheur, la mort et la tragédie qui sont notre sort. Nous devons hâter l'arrivée du jour où ce lourd fardeau sera enlevé de leurs épaules à enfantines.

En 1906, le grand Aboviyan inaugura dans le village de Tougue de la région Gadrout la marche vers la réconciliation entre Arméniens et Azerbaïdjanais. Cest la voie poursuivie aussi par les vétérans Azerbaïdjanais en 1990. Engageons-nous donc tous ensembles sur le chemin de la réconciliation, marchons les uns à la rencontre des autres, rendons à nos familles le droit à la vie tranquille, à nos enfants un avenir heureux. Nous sommes certains que les blessures des différends entre nationalités, celles de l'hostilité et de la guerre, vont se cicatriser et que notre terre sera de nouveau arrosée non par le sang des innocents mais par la sueur des laboureurs produisant le pain et par celle des vignerons. Nous ne voulons pas serrer dans nos mains des fusils sur l'incitation des émissaires d'Arménie. Nos mains sont sollicitées par la terre, par le travail paisible.

C'est sincèrement que nous désirons la réconciliation et c'est la raison pour laquelle nous écrivons cette lettre. Nos familles et nos proches sont au courant. Nous sommes des vétérans de la guerre, du travail et du Parti. Nous appartenons aux différentes professions et nous nous sommes unis au sein du Comité du Daglig-Garabagh pour la réconciliation entre nationalités.

Nous déclarons que telle est l'attitude d'au moins 70 % des Arméniens du Garabagh. Les autres veulent aussi une vie paisible mais ils ont peur de le dire. Nous vivons parmi le peuple et nous savons ce qu'il ressent.

Ne nous blâmez pas d'avoir demandé de ne pas publier pour le moment nos noms. Nous allons révéler ces noms dès que cela sera possible. Maintenant nous devons lutter ensemble pour un Daglig Garabagh paisible.

Cet appel est signé par 122 Arméniens vivant dans le Daglig-Garbagh.

 

EPILOGUE

Une brève interview accordée par l'académicien Aganbéguian à "l'Humanité" (18 nombres 1987), lors d'un séjour en France, a donné le signal du début du conflit.

Pourtant, trois ans auparavant déjà le journaliste Zori Balayan avait publié un roman, intitulé "Otchag" - "le foyer" - dans lequel il traitait les peuples turks et musulmans d'URSS de "coupeurs de têtes", de "tueurs professionnels" (p. 9) ; "d'ennemis communs de la Russie et de l'Arménie" (pp. 10-11) ; de "vandales" (pp. 16,18, 67) ; de "récidivistes ottomans", de "mauvaise graine néo-fasciste" (p. 22) ; de "poignée de nomades intrus" (p. 43) ; de "hordes sauvages" (. 298). Au vu de cet échantillon, on peut se faire une idée du genre d'individus, qui a rallumé la flamme de la haine interethnique (1).

On peut s'efforcer de résumer l'histoire du conflit comme suit. Jusqu'à la conquête du Caucase par la Russie, existaient en Transcauscasie les formations étatiques suivantes : les Khanats azerbaïdjanais, parmi eux, ceux de Karabagh et d'Erivan, ainsi que le Royaume de Géorgie. En ce qui concerne les cinq "melikats" arméniens du bas-moyen-âge, ils ont été sous l'entière dépendance des Shahs de Perse puis des Khans du Garabagh.

La communauté (arménienne - nda) est éparpillée, vécue comme une simple entité religieuse. Surtout, elle manque de l'essentiel : un territoire (2).

A partir d'une attestation (ci-joint) de fin d'études secondaires délivrée par le Ministère de l'Education d'Arménie en 1989 à une Azerbaïdjanaise vivant dans le village de Leninavan de la région de Mardakert (Daglig-Garabagh) Rena Vassif gyzy Abbassova, on peut dégager deux conclusions : premièrement, cette jeune Azerbaïdjanaise n'a pas étudié sa langue maternelle, son histoire, sa littérature. Deuxièmement, dans les écoles arméniennes, on étudie l'histoire du peuple arménien et non l'histoire de l'Arménie. Dans les quatorze autres républiques soviétiques, on étudie l'histoire de sa patrie, et non de son peuple.

Selon le chercheur russe M.A. Skibitskiy, les Tatars azerbaïdjanais constituaient en 1$$1Q % de la population de tout le          Garabagh, les arméniens - 16,6 %, les Kurdes - 12,7 % et les Tats - 0,7 9Z$La composition ethnique du Garabagh et les transferts massifs d'Arméniens de Turquie et de d'Iran vers l'Azerbaïdjan et la Géorgie, sont étudiés par de nombreux chercheurs (4).

Les auteurs du livre "Artsakh - Histoire du Karabagh" (5) écrivent qu'en 1921, la population arménienne comptait au Haut-Karabagh, pour 94 %. Cependant, en 1921, il n'existait pas encore de formation territoriale telle que le Haut-Karabagh. Bien évidemment, il ne pouvait y avoir de recensement organisé dans le cadre d'une région qui n'existait pas.

Voyons alors le "Calendrier Caucasien pour 1914" qui indique, que pour les régions ("uezd") de Choucha et Karyaguine, qui constituent la base de la partie montagneuse du Garabagh, on trouvait 119 000 Arméniens et 162 000 Azerbaïdjanais, c'est-à-dire que les Arméniens comptaient 42 % de la population. A l'évidence, nos éminents auteurs n'ont pas eu connaissance de ces sources, ni de celle que nous avons précédemment mentionnées (3,4).

Les premières prétentions arméniennes en Azerbaïdjan et Géorgie sur les terres de Garabagh, de Nakhitchévan, du Zanguezour, d'Akhalkalaki et de Bortchalou ont été exprimées après l'apparition des trois républiques indépendantes d'Azerbaïdjan, d'Arménie et de Géorgie en mai 1918. Mais elles n'ont pas obtenu gain de cause (6) et ont eu pour conséquence de nombreuses pertes humaines et l'expulsion des Azerbaïdjanais d'Erivan, de Nakhitchévan et de Zanguezour.

Le pouvoir soviétique se mit en place à Bakou le 28 avril 1920, et dès le 7 mai également au Garabagh. L'Arménie comme la Géorgie restèrent, quant à elles, encore indépendantes.

Le conflit resurgit une seconde fois après l'établissement du pouvoir soviétique en Arménie. La décision finale concernant cette question fut prise lors de la session du Bureau Caucasien du Parti (4-5 juillet 1921). Des protocoles de cette session (7) il ressort que furent discutées deux propositions :

1/- laisser le Daglig Garabagh à l'Azerbaïdjan ou :

2/- l'incorporer à l'Arménie.

Finalement, la décision fut prise de le laisser à l'Azerbaïdjan. Le 7 juillet 1923, fut créée la province autonome du Daglig Garabagh.

Enfin, pour ce qui concerne le ternie "arstakh", considéré par certains historiens comme le nom arménien du Garabagh, son origine ethno-linguistique est abordée en détail par le philologue Mir-Ali Saïdov (8). Selon ses recherches, la variante phonétique la plus ancienne du mot "artsakh" serait "arshak" - nom donné à la communauté des tribus de langue turque. Les sources grecques anciennes mentionnent l'Artsakh-Arshak comme le berceau des tribus du même nom (qui pourraient bien être les Oghouz) et comme le lieu de leur habitat. Ainsi, par exemple, d'après Arryane, historien, chef de guerre et consul grec en Asie Centrale (I-II-e s. de notre ère), la dynastie des Artsakh s'est soulevée contre le joug macédonien et parvint à chasser les Grecs du pays (9).

Plus loin, le même Mir-Ali Séïdov estime que, en langue arménienne (contemporaine ou ancienne) le mot "artsakh" ne correspond à aucune réalité. Son étymologie serait bien plus liée aux langues turques. "Artsakh" serait alors un nom commun composé, à partir des mots "ar" et "sag". Le mot "ar" ou "er" dans bien des langues turques signifie "homme", dans les deux sens du terme. Le second terme "sag" serait lié à une tribu turque qui se serait illustrée dans l'histoire, celle des Sag. "Arsag" signifie donc "homme courageux". A son tour, le mot "sag" se laisse décomposer en "sa" et "g". Dans la langue turque ancienne, on trouve le mot "sa'a" (en azerbaïdjanais moderne "sa" signifie "arc") et "og" (de même "flèche"). Les voyelles étant tombées dans l'assemblage des composants, on a obtenu le mot "sag". Or dans la mythologie turque ancienne, l'arc et la flèche étaient des images sacrées : "sa" - l'arc, signifiait l'indépendance, la souveraineté, tandis que "og" - la flèche représentait le vassal, le subordonné. Ainsi donc, le mot "artsakh" aurait pour signification "homme libre avec son vassal". De l'avis de Mir-Ali Séïdov, les Artsakhs vivaient autrefois dans les montagnes de l'Altaï, en Asie Centrale ainsi que dans le Garabagh.

Les prétentions territoriales sans fondement, ni juridiques, ni historiques, à l'endroit de l'Azerbaïdjan, et ce en violation de la Constitution de l'URSS (les articles 70, 78 et 146), du Traité de l'Union de 1922 et des normes internationales, ont eu pour conséquence un grand nombre de victimes des deux côtés, ont amené à l'expulsuion intégrale de l'ensemble des Azerbaïdjanais vivant en Arménie et d'environ 70 % des Arméniens vivant en Azerbaïdjan.

Aydin Gandjali, 28 mai 1991

 

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

1/- E. Namazov, hebdomadaire "Temps Nouveaux" n° 5, fév. 1991, Moscou

2/- A. Ter-Minassian, "Patrie-Etat : une rime pauvre" in Mission Arménie. Médecins du Monde. Lettre mensuelle d'information et de réflexion, n° 2, janvier 1990

3/- M. A. Skibitskiy, "Carte des alpages du Garabagh" dans "Matériel pour l'établissement des alpages d'été et d'hiver pour l'étude de l'élevage au Caucase", Tiflis, 1899

4/- Description de la province de Karabagh, effectuée en 1823 à la demande du général Ermolov par M. Moguilevskiy et le colonel Ermolov. II, Tiflis, 1866

- "Actes de la Commission Archéologique du Caucase", publié par Adolfe Berge, Tiflis, 1868

-   Sergueï Glinka "Description des migrations des Arméniens "adderbidjaniens" vers les provinces russes", Moscou, 1831

- S. Zelinski "La condition économique des paysans de l'Etat de la région du Zanguezour, dans le gouvernorat d'Elisavetpol", Tiflis, 1886, tome 4

-1. Tchavtchavadzé "Les savants arméniens et les pierres qui crient", Tiflis, 1902

- V. Velitchko "Kavkaz", Saint Pétersbourg, 1904

-  N. Chavrov "La nouvelle menace sur les affaires russes au Transcaucasie", Saint Pétersbourg, 1908

- B. Ichkanian, Les peuples du Caucase, Petrograd, 1916

- A. Griboedov "Oeuvres choisies", Moscou, tome 2, pp. 333-344

-         Archives centrales de l'Etat de la RSS de Géorgie "Sur l'immigration de Perse vers le Garabagh et d'autres provinces d'Arméniens originaires de l'étranger", FI 105, n° 55

- "Le Haut-Garabagh, mythes et réalités" Ahmad Tabrizli in Histoire du Daglig (Haut) - Garabagh à la lumière de documents historiques. Strasbourg, Editions Dagyeli Verlag, 1989, pp. 74-78

5/- P. Donabédian, C. Mutafian "Artsakh - Histoire du Karabagh", Paris, 1991, p. 87

6/- "La guerre civile et l'intervention armée en URSS", L'encyclopédie, Moscou, 1987, p. 42

7/- Archives Centrales du Parti, Institut du Marxisme-Léninisme (F 64, 0.2, d. 1, L. 118)

-         8/- "Questions de philologie azerbaïdjanaise", Bakou, 1983, pp. 142-150 9/- "Les auteurs anciens et l'Asie Centrale", Tachkent, 1940, p. 90.

 

 




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